Interview
Christophe Valentie
Directeur Général de l’Unédic
Les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire ont fait jouer à l’Unédic un rôle, parfois méconnu, de soutien à l’activité économique, de soutien à l’emploi et non plus seulement celui d’indemnisation du chômage. Comment l’Unédic s’est-elle mobilisée pour tenir ce rôle ?
Christophe Valentie : Avec la crise sanitaire, nous vivons tous en direct ce qu’est l’Assurance chômage et son gestionnaire l’Unédic : un puissant stabilisateur économique et social. C’est sa vocation-même de protéger les Français dans les périodes où la conjoncture est défavorable. La conséquence : nous gérons un régime quatre fois plus sensible aux aléas économiques que certaines branches de la Sécurité sociale comme la maladie ou la vieillesse, qui ne sont impactées que sur le volet recettes. Lorsque le dynamisme de l’emploi et des salaires se dégrade ou s’améliore, les conséquences sont visibles à la fois au niveau des recettes et des dépenses. En 2020, l’Assurance chômage a été mobilisée dans une ampleur inédite : plus de 25 milliards d’euros injectés dans l’économie, dont 10 en seulement 8 semaines, c’est sans précédent. À titre de comparaison, en 2008, c’était 10 milliards d’euros. Cette solidarité a été rendue possible grâce au pilotage rigoureux des partenaires sociaux en charge de la gestion du régime.
L’intervention de l’Unédic, dans ce contexte particulier, illustre la réactivité de ses gestionnaires. Ne donne-t-elle pas à voir ce qu’est la nécessaire complémentarité de l’intervention de l’État et celle des partenaires sociaux ? Ne traduit-elle pas ce qu’est le rôle, et la responsabilité, des partenaires sociaux dans la gestion des équilibres entre l’assurance des individus et le soutien à l’activité économique ?
C.V. : Dès mars 2020, l’Unédic a été à l’initiative d’un comité de suivi avec l’État pour initier et mettre en œuvre des mesures d’urgence pour faire face à la crise. L’objectif était de se coordonner avec l’État pour le déploiement de l’Activité partielle, l’indemnisation des demandeurs d’emploi et assurer la soutenabilité du régime. Cette collaboration a permis de limiter les effets de la crise sur 3 millions de demandeurs d’emploi auxquels nous avons continué de verser une allocation chômage et spécifiquement aux personnes en contrats à durée déterminée ou plus petits contrats (en heures et/ou montants) touchés de plein fouet. Et auprès de 8 millions de salariés via l’activité partielle dont nous finançons le tiers. Ce coût de l’activité partielle est un paramètre nouveau. L’Unédic a su y faire face très vite et a adapté rapidement ses outils de financement en émettant des « social bonds », en cohérence avec notre mission sociale et en bénéficiant de taux d’intérêt bas du fait de la confiance des marchés financiers. S’agissant des partenaires sociaux, ils ont pris toutes leurs responsabilités, avec réactivité et agilité en pilotant le régime leur pilotage transparent, rigoureux et maîtrisé du régime dans une période d’urgence inédite.
L’Unédic a publié récemment les résultats d’une enquête sur la « Perception du chômage ». Quels enseignements en retirez-vous ? Si la crainte du chômage a pu être amplifiée par les conséquences du confinement sur l’emploi le recours massif au chômage partiel a-t-il participé à rassurer ? À donner une nouvelle image du système d’indemnisation ?
C.V. : Oui, nous avons publié la première édition du Baromètre de la perception du chômage en mars dernier, l’enquête avait été menée juste avant le premier confinement. Et nous avons publié un deuxième volet à la rentrée, en analysant notamment les effets de l’activité partielle. Ce que l’on observe entre les deux éditions du baromètre, c’est la très forte amplification des craintes des Français sur l’emploi. En septembre, 73 % d’entre eux ont le sentiment que la situation de l’emploi se dégrade, +27 points en quatre mois. Ils sont 93 % à considérer que le chômage peut toucher tout le monde. Cela traduit de véritables craintes. Pour autant, les Français dissocient nettement l’activité partielle (« chômage partiel ») du « chômage ». L’expérience de l’activité partielle n’a pas fait évoluer la perception du chômage, les Français distinguant totalement les deux situations. S’agissant de la perception du système d’indemnisation, face à la crise, l’utilité des allocations chômage, en tant que droit et bouclier protecteur, s’est confirmée. Et l’attachement à l’Assurance chômage s’est renforcé, notamment parce qu’elle a été jugée « à la hauteur » pendant la crise pour 61 % des Français.
« L’Unédic, partenaire social de notre bien commun » : c’est le titre du rapport d’activité 2019. Comment l’organisme paritaire participe-t-il, au sein du SPE, aux réflexions sur l’évolution du marché du travail, sa « dualité », les nouvelles formes de l’emploi ?
C.V. : La crise a pour l’Unédic été un révélateur, s’il le fallait, de son utilité sociale. L’envergure et la réactivité de l’Unédic dès mars au service du bien commun sont à souligner. Nous avons protégé 11 millions de Français, en activité partielle ou au chômage, et 1 million d’entreprises partout dans le pays. Cette solidarité inédite, nous continuerons de l’exercer pour permettre la convalescence et la revitalisation du pays. Et grâce aux analyses de nos experts, nous suivrons comme nous l’avons toujours fait les évolutions du marché du travail qui en résulteront. Créant les conditions d’un débat éclairé et facilitant la prise de décisions des partenaires sociaux.
Pour conclure, on ne peut éviter la question de la dette. Financée dans un contexte de taux bas et en privilégiant des « social bonds », cette dette a un coût. La question de sa soutenabilité reviendra et avec elle le chômage partiel, après avoir été soutien à l’économie, ne sera plus, dans les comptes, qu’un coût ! La soutenabilité de ce « bien commun » a-t-elle gagné des arguments face à la soutenabilité de la dette ?
C.V. : Rappelons qu’en contexte ante Covid, l’Unédic s’orientait vers un retour à l’équilibre financier de l’Assurance chômage en 2021. La diminution de la dette, avec la convention de 2017, à la main des partenaires sociaux, permettait déjà 900 millions d’euros d’économies chaque année en rythme de croisière. La soutenabilité de notre endettement, notre capacité à honorer nos emprunts ne se pose pas à court terme. Une dette maîtrisable est avant tout une dette dont les taux d’intérêts sont bas. La charge pour l’Unédic a toujours été faible, elle est inférieure à 1 % de ses recettes. Enfin et surtout, une dette utile est une dette qui a du sens. En lien avec notre mission sociale, nous avons émis avec succès des « social bonds ». Une démarche en cohérence avec la double mission de l’Unédic : protéger socialement et économiquement contre les aléas du marché du travail et accompagner les salariés dans leur réinsertion professionnelle et l’emploi durable. Cela nous engage à assurer une gestion des fonds dédiés à ces emplois, et à rendre compte de la contribution des dispositifs ainsi financés aux objectifs de développement durable de l’agenda 2030.