Dr David Gourion
Psychiatre libéral à Paris
L’épidémie de solitude chez les jeunes : une réalité méconnue aggravée par la pandémie
« Il y a dans chaque cœur un coin de solitude que personne ne peut atteindre. » Albert Camus.
La solitude chez les jeunes : situation avant la pandémie
La solitude chez les jeunes adultes est une réalité déjà bien documentée, comme l’avait montré en 2017, bien avant la pandémie COVID, une étude du CREDOC1 qui remettait déjà en cause un cliché tenace : être jeune n’est pas toujours synonyme de bonheur et de vie sociale bien remplie, loin de là… Cette étude, publiée sous l’égide de la Fondation de France, montrait que 24 % des jeunes adultes dans notre pays éprouvaient déjà régulièrement un sentiment de solitude. L’évaluation objective de leur support social montrait que 12 % des 15-30 ans étaient en situation d’isolement relatif (c.-à-d. n’ayant qu’un unique réseau social : le plus souvent la famille) et 6 % étaient en situation d’isolement absolu (strictement aucun réseau social). Parmi les facteurs favorisant l’émergence de la solitude, se trouvaient en premier chef le départ du domicile parental, la solitude sentimentale, la précarité professionnelle, les mauvaises conditions de logement et les problèmes de santé.
La partie qualitative de l’étude mettait en évidence la part subjective du sentiment de solitude et l’importance des facteurs psychologiques qui conduisent au repli sur soi : manque de confiance en soi, complexes physiques, situations de harcèlement, sentiment de rejet familial ou social, méfiance (deux jeunes sur trois pensent qu’on ne peut pas faire confiance aux autres) et sentiment d’inutilité sociale.
La pandémie, catalyseur de vulnérabilités
Après deux confinements et de longs mois sans accès à leurs universités, de nombreux étudiants lassés, démoralisés et précarisés sont descendus dans la rue le 20 janvier 2021 à travers la France pour dénoncer les effets dévastateurs de la crise sanitaire sur leur existence quotidienne. Au sentiment de solitude et de précarité que partageaient la plupart des étudiants présents, pour qui la fac était « le seul lieu de socialisation », s’ajoutait un sentiment d’injustice lié à cet étrange paradoxe qui fait que les jeunes, c’est-à-dire ceux qui sont statistiquement les moins vulnérables vis-à-vis de la Covid, sont aussi ceux qui en payent le plus lourd tribut, tant dans le bouleversement de leur vie de jeunes adultes, que dans le fait d’être à long terme comptables de la monstrueuse facture (et fracture) économique à venir, sans véritable prise en compte ni reconnaissance sincère de leurs sacrifices par leurs aînés. L’apparition du mot-dièse « #etudiantsfantomes » sur les réseaux sociaux témoignait de cette souffrance.
Le gouvernement a alors exprimé sa préoccupation et annoncé les repas à un euro et des chèques permettant de financer les consultations chez des psychologues et un renfort de psychologues et d’assistants sociaux pour les étudiants en difficulté. Ces dispositifs sont-ils et seront-ils suffisants ? Nous avons malheureusement de fortes raisons d’en douter, ne serait-ce qu’au regard de l’insupportable retard déjà pris par la France dans la prise en charge médico-psychologique des étudiants. En effet, une étude publiée dans JAMA en 20202 et portant sur près de 70 000 étudiants évalués en France durant le premier confinement montrait, parmi ceux présentant des signes de souffrance psychique, que seuls 12,4 % avaient déclaré avoir consulté un professionnel pour des raisons de santé mentale et qu’une infime minorité d’entre eux (2,7 %) avaient demandé de l’aide auprès des services de santé universitaire. Ajoutons qu’en France, les étudiants ne bénéficient pas, contrairement aux salariés, de dispositifs encadrant réellement la prévention et la prise en charge des risques psychosociaux. Une première étape serait a minima leur évaluation, c’est-à-dire l’obligation pour chaque établissement universitaire de mieux suivre la santé de leurs étudiants, notamment en publiant régulièrement des mesures d’indices de souffrance psychique, comme cela se fait depuis plusieurs décennies ailleurs dans le monde. Cela permettrait, notamment aux futurs étudiants prenant connaissance de ces indices, de mieux choisir l’université dans laquelle ils souhaitent consacrer plusieurs années de leur vie en meilleure connaissance de cause.
Le sentiment subjectif de solitude : des causes aux conséquences sur la santé mentale et physique
« Il y a dans chaque cœur un coin de solitude que personne ne peut atteindre. » Albert Camus l’écrivait, la pratique clinique le montre, et l’étude le confirme, on constate que c’est souvent plus le sentiment subjectif de solitude que la solitude réelle qui amène les jeunes à se sentir malheureux, rejetés et sans intérêt. En effet, les plus fragiles – isolés ou socialement vulnérables – ne se sentent pas nécessairement beaucoup plus seuls que les autres : dans l’étude du CREDOC, 28 % éprouvent régulièrement un sentiment de solitude versus 24 % pour l’ensemble des 15-30 ans. Et l’exacerbation de ce sentiment de solitude pouvait aussi conduire à se sentir menacé par le monde extérieur et à adopter une position paranoïaque de repli sur soi et de sensitivité émotionnelle exagérée conduisant à se comporter de façon agressive. La question des liens entre isolement (réel et/ou subjectif) et augmentation de la consommation d’alcool et de drogue est également une question de santé publique chez les jeunes, qu’il nous appartient de mieux objectiver en utilisant une approche suffisamment fine tant les profils de consommateurs sont hétérogènes (consommations occasionnelles et festives avec binge drinking, consommations quotidiennes et associées à des comorbidités, etc.).
Une autre façon d’appréhender l’ampleur du phénomène et ses dynamiques, à côté des études cliniques, concerne l’exploration des réseaux sociaux et d’Internet. Déjà, l’étude du CREDOC avait analysé des milliers de requêtes de recherches exprimées par mots-clés par les jeunes isolés sur les moteurs de recherche tels Google : « pas d’amis », « trouver des amis », « toute seule » etc., et montrait que les forums de discussion sont les tristes antichambres de sombres confidences : dépression, misère affective et sexuelle, échec scolaire… Il n’est pas rare que les idées de suicide y soient exprimées de façon directe avec la demande explicite et technique des différents moyens pour en finir.
Enfin, outre l’impact de la solitude sur la santé mentale (faible estime de soi, dépression, anxiété, irritabilité, insomnie, addictions, risque suicidaire plus élevé), certaines études ont suggéré que la solitude est susceptible d’avoir un impact sur la santé, avec l’obésité, les modifications du système immunitaire et les troubles cognitifs (mémoire, attention, concentration), avec un excès de mortalité toutes causes confondues mis en évidence par différentes méta-analyses. Par comparaison, l’excès de mortalité attribuable à l’isolement social est, selon certaines de ces études, trois fois plus élevé que celui lié à l’obésité et quinze fois plus que celui lié à la pollution de l’air3…
En conclusion, si la cécité et le déni de notre société face à la solitude, la misère affective et sexuelle des jeunes est si profonde, c’est sans nul doute à cause du mythe rémanent de la jeunesse comme étant l’âge d’or d’une vie. Le cliché rémanent du Tanguy, « adulescent » immature, autocentré sur une vie sociale riche et futile et couvé par une famille aimante, ne concerne qu’une minorité des jeunes issus des classes les plus favorisées.
Il est désormais urgent de trouver les bonnes solutions : le combat contre le chômage et la précarité des jeunes, l’insertion par l’éducation, la culture, le sport, la lutte contre toutes les formes de stigmatisations et un meilleur accès aux soins psychiques en particulier à l’université.
1 https://www.credoc.fr
2 JAMA Network Open. 2020 ; 3(10):e2025591. doi : 10.1001/jamanetworkopen.2020.25591
3 La Fragilité psychique des jeunes adultes : 15-30 ans : prévenir, aider et accompagner. David Gourion. Éditions Odile Jacob. 2015.