Tribune
Pr Christian Hervé
Chef du département d’éthique et intégrité scientifique, Hôpital Foch, Suresnes, France
Faculté de santé, Université Paris Cité, paris, France
UFR Simone Veil – Santé, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), Montigny-le-Bretonneux, France
Académie d’éthique, médecine et politique publique, Université Paris Cité, Paris, France
Académie vétérinaire de France, Paris, France
Henri-Corto Stoeklé, PhD
Responsable de l’éthique au département d’éthique et intégrité scientifique, Hôpital Foch, Suresnes, France
À l’heure de « one health » – ou, en français, une seule santé –, le concept de performance en santé pourrait évoluer1. Mais cette évolution ne devrait pas se limiter à un déploiement scientiste de pratiques médicales et/ ou biologiques relatives à one health. Le choix d’une telle conception, plutôt occidentale et contemporaine, pourrait être inefficient, car aveugle à la pluralité des positionnements moraux dans le monde. Néanmoins, tenir compte de cette pluralité impliquerait d’évaluer la pertinence de tel positionnement moral par rapport à telle pratique médicale et/ou biologique, à un endroit et/ou à un moment donnés2.
Une seule santé
One health sous-tend qu’une amélioration de la santé humaine (ex. absence de maladie, bien-être physique, etc.) est étroitement liée à celle de la santé animale (ex. espèce-réservoir, biodiversité, etc.) et de la santé environnementale (ex. pollutions, changement climatique, etc.)3. Dans le cas des maladies infectieuses (virus, bactéries, etc.), cette idée est largement éprouvée.
Les grandes pandémies humaines passées (ex. la peste noire), ou présentes (ex. la Covid-19), ont des liens causaux et/ou effectifs établis avec la santé animale (ex. organismes nuisibles) et/ou environnementale (ex. écosystèmes)4.
Ces grandes pandémies connues de l’histoire ont surtout permis une amélioration des pratiques médicales et/ou biologiques (= diagnostic, traitement, etc.)5. Toutefois, les effets de ces pratiques n’ont pas été seulement d’ordre médical et/ou biologique, au sens strict. Ils ont pu aussi être d’ordre moral, au sens large. Et certaines de ces nouvelles pratiques, en dépit de leur validité scientifique, ont pu aussi conduire à des réactions individuelles et/ou collectives défavorables, voire hostiles, qui, elles, ont pu freiner, ou empêcher, leur développement, avec évidemment des variabilités entre sociétés, personnes et/ou époques6.
Par exemple, une frange non négligeable de la population dans l’ensemble des pays directement impactés par la pandémie de la Covid-19 a hésité ou refusé de se faire vacciner contre ce virus, malgré des bénéfices individuels démontrés7. Et le taux de refus et/ ou d’hésitation a varié entre les pays, allant de 2,4 % en Chine jusqu’à 48,4 % en Russie, en juin 20218. En France, le taux était de 36,6 % au même moment. Mais ces mouvements dits « antivax », ne sont pas nouveaux. Depuis plusieurs années, en France notamment, sont observés un scepticisme, et même un complotisme, croissants, envers la vaccination en général9.
Les polémiques vis-à-vis d’abattages préventifs d’élevages de visons, au Danemark en particulier, risquant de se transformer en espèce-réservoir de nouveaux variants de la Covid-19 résistants aux vaccins, sont un autre exemple éloquent10. Le fait est que ce type de pratique médicale, utile dans des conditions bien spécifiques, suscite un nombre grandissant de critiques, au-delà du citoyen ou du militant11. Le sacrifice systématique d’animaux, d’élevages ou non, comme précaution envers la santé d’êtres humains, est de moins en moins soutenu par les scientifiques eux-mêmes12, en Occident ou ailleurs13.
Une bioéthique globale
Innovation ou non, à tort ou à raison, ces deux exemples, parmi d’autres, montrent, dans les faits, qu’il ne suffit pas qu’une pratique médicale et/ou biologique ait un effet bénéfique, réel ou potentiel, sur la santé humaine pour qu’elle soit nécessairement acceptée, aussi par les scientifiques14. Elle peut entrer en tension avec des valeurs et/ou des normes morales de certaines personnes et/ou sociétés, en raison de cultures, de personnalités, ou de leurs évolutions, subjectivement opposées, comme dans le cas de l’avortement15. Il reste que la plupart de ces pratiques peuvent être objectivement bénéfiques. Dès lors, que fait-on ?
Ici, devrait intervenir la bioéthique, via l’application d’une théorie éthique spécifique : la bioéthique globale. Celle-ci préconise une étude opérationnelle de ces tensions, en fonction des effets de ces pratiques sur la qualité de vie et la survie de l’humanité, via une approche interdisciplinaire. En élargissant la qualité de vie au bonheur, en tenant compte de la variabilité individuelle et/ou collective de ses critères, et ceux de la survie, elle pourrait, effectivement, être la plus à même d’évaluer la pertinence de tel positionnement moral par rapport à telle pratique médicale et/ou biologique, à un endroit et/ou à un moment donnés16.
C’est cette théorie éthique que nous pratiquons dans le Département d’éthique et intégrité scientifique de l’hôpital Foch, avec cet objectif d’améliorer, bioéthiquement, la performance en santé17,18. Et elle est programmée pour l’être aussi au sein du nouveau pôle universitaire « Une seule santé et santé globale » de l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, vis-à-vis des étudiants en médecine humaine, et bientôt vétérinaire, tout particulièrement, pour que justement, à l’heure de one health, l’évolution conceptuelle de la performance en santé ne s’y limite pas à un déploiement scientiste de nouvelles pratiques médicales et/ou biologiques.
Conflits d’intérêts – Aucun.
1 Zhang X-X, Liu J-S, Han L-F, Xia S, Li S-Z, Li OY, et al. Towards a global One Health index: a potential assessment tool for One Health performance. Infectious Diseases of Poverty. 2022;11(1):57.
2 Stoekle HC, Ivasilevitch A, Marignac G, Hervé C. Ethical issues of brain organoids: well beyond “consciousness”?. AJOB Neurosci. 2022.
3 Parodi AL. [The “One health’’ concept: reality and future prospect]. Bull Acad Natl Med. 2021;205(7):659-61.
4 Berche P., Perez S. Pandémies. Des origines à la Covid-19. Paris. Perrin. 2021. 528 p.
5 Contamine P. Jean-Noël Biraben. Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens. Tome I : La peste dans l’histoire. Tome II : Les hommes face à la peste. Paris-La Haye, Mouton, 1976. In-8°, 455 et 416 pages, 12 cartes et 30 graphiques dans le texte, 16 planches hors texte. Bibliothèque de l’École des chartes. 1978:170-3.
6 Stoeklé HC., Ackermann F., Beuzeboc P., Hervé C. “Vaccine refusal and burnout: Hospitals need “emergency multidisciplinary team meetings”. J Eval Clin Pract. 2022;28(3):493-4.
7 Lazarus JV, Ratzan SC, Palayew A, Gostin LO, Larson HJ, Rabin K, et al. “A global survey of potential acceptance of a Covid-19 vaccine”. Nature Medicine. 2021;27(2):225-8.
8 Lazarus JV, Wyka K, White TM, Picchio CA, Rabin K, Ratzan SC, et al. “Revisiting Covid-19 vaccine hesitancy around the world using data from 23 countries in 2021”. Nature Communications. 2022;13(1):3801.
9 Guimier L. « Les résistances françaises aux vaccinations : continuité et ruptures à la lumière de la pandémie de Covid-19 ». Hérodote. 2021;183(4):227-50.
10 Lesté-Lasserre C. “Pandemic dooms Danish mink—and mink research”. Science. 2020;370(6518):754-.
11 Lederman Z, Magalhães-Sant’Ana M, Voo TC. “Stamping Out Animal Culling: From Anthropocentrism to One Health Ethics”. Journal of Agricultural and Environmental Ethics. 2021;34(5):27.
12 Van Herten J, Bovenkerk B. “The Precautionary Principle in Zoonotic Disease Control”. Public Health Ethics. 2021;14(2):180-90.
13 Venkat BJ. “Iatrogenic life: veterinary medicine, cruelty, and the politics of culling in India”. Anthropology & Medicine. 2022;29(2):123-40.
14 Toeklé HC, Ivasilevitch A, Marignac G, Hervé C. “Creation and use of organoids in biomedical research and healthcare: the bioethical and metabioethical issues”. Cell Adh Migr. 2021;15(1):285-94.
15 Behrent MC. “États-Unis : l’avortement et le droit des États”. Esprit. 2022 juillet- août(7):10-3.
16 Stoeklé HC, Sekkate S, Ayoubi JM, Beuzeboc P, Hervé C. “An ethics of HPV vaccination: beyond principlism”. Hum Vaccin Immunother. 2022:2082793.
17 Stoeklé H-C, Sekkate S, Angellier E, Kennel T, Benmaziane A, Mabro M, et al. “From a voluntary vaccination policy to mandatory vaccination against Covid-19 in cancer patients: an empirical and interdisciplinary study in bioethics”. BMC MedicalEthics. 2022;23(1):88.
18 Stoeklé HC, Ladrat L, Landrin T, Beuzeboc P, Hervé C. Bio-ethical issues in oncology during the first wave of the COVID-19 epidemic: a qualitative study in a French hospital. J Eval Clin Pract. 2022.
Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP