Tribune

« La performance ne peut se penser que par et avec le bénéficiaire et les acteurs de santé »

Pierre-Henri Haller
Cadre supérieur de santé, kinésithérapeute, pôle de médecine physique et de réadaptation hôpitaux universitaires de Marseille AP-HM, Président du Collège National de la Kinésithérapie Salariée CNKS

Il n’est plus rare de lire sur Internet des commentaires et des notations sur les professionnels de santé et les établissements de santé. Il est courant d’observer dans les médias et sur Internet les rapports des démarches qualité auditées par les agences d’État ou par les établissements eux-mêmes. Ces « évaluations », plus ou moins modérées, rendent compte de « vécus » et d’« expériences » de soins, dans toutes leurs acceptations, l’accueil, l’attente, la décision, l’information, la pratique professionnelle, le suivi…

Ces types « d’évaluations » constituent-ils des comptes rendus fidèles de la performance des acteurs et des institutions ? La carte n’est pas le territoire. La réalité est-elle vérité et vice versa ? Comment alors mesurer, qualifier et/ou quantifier la performance des acteurs et des systèmes de soins ?

Enjeux : idée de mesure et idéal de performance ?

La performance est le fruit – c’est-à-dire le résultat constaté – de compétences individuelles et collectives dans un environnement facilitant, mises en oeuvre par incrémentation de sa taxonomie. Une taxonomie qui déroule un continuum depuis le potentiel (repéré, subodoré), l’aptitude (essayée tutorée, accompagnée), la capacité (testée, sanctionnée ou récompensée), démontrée à l’instant x… conduisant à la compétence, novice ou experte, susceptible d’ancrer la performance. Ainsi, par exemple, l’excellence du sportif, à force d’entraînements, se trouve confrontée au stress de l’enjeu de la compétition, et pour autant seule la performance met en lumière la compétence. N’en est-il pas de même du chirurgien qui réussit une longue et délicate opération, de l’infirmière qui réalise un soin très technique, d’un rééducateur qui accompagne les premiers pas d’un patient équipé d’exosquelette, d’un cadre de santé qui accompagne une démarche d’analyse des pratiques professionnelles ou encore d’un directeur d’hôpital qui présente son projet d’investissement ? L’étymologie du mot évaluation porte en elle-même la dualité entre la détermination quantitative ou l’observation qualitative de cette performance.

Questionner la performance, c’est d’abord questionner le verbe d’action – performer – qui y conduit ; c’est aussi questionner l’adjectif qualificatif – performant – qui la stabilise et bien sûr questionner aussi le substantif qui magnifie le résultat.

La performance liée à une démarche – celle du souci de performer – s’inscrit dans une force, une dynamique de motivation, d’implication, d’engagement, qui pousse à faire mieux et ou à faire plus.

Liée à un état – celui d’être qualifié de performant – elle « récompense, satisfait » et oblige à le rester. Liée à un résultat déclaré, c’est-à-dire à un instant T, elle devient fragile, éphémère, même si elle entre dans l’histoire. Elle devient référence et matière à rétribution… et objet à battre, à dépasser.

La déficience ? Une science du défi !

Dans le champ du handicap – où les affections altèrent de façon visible ou non la qualité de vie et l’inclusion sociale –, il paraît difficile de s’affranchir de l’expérience singulière du patient, qui sera accompagnée de la phase aiguë, subaiguë puis tout au long de la vie par un parcours de réadaptation, à la fois sanitaire et social.

La réadaptation est l’ensemble des interventions nécessaires lorsqu’une personne est limitée, ou risque d’être limitée, dans son fonctionnement quotidien à cause de son âge ou d’une pathologie, notamment une maladie ou un trouble chronique, une lésion ou un traumatisme (OMS 2011). Ce modèle systémique de la santé – classification internationale du fonctionnement du handicap et de la santé (CIF) – permet des articulations entre les dimensions biomédicales et biopychosociales et culturelles de la situation de handicap. Ainsi, peuvent être pensées et agies des articulations étroites entre la demande de soins, les besoins des bénéficiaires, les finalités de l’offre de soins. Les projections démographiques nous invitent à une anticipation politique et sociétale des besoins de santé et d’accompagnement, au sein d’une stratégie nationale de réadaptation.

Questionner la performance d’une stratégie nationale de réadaptation interroge donc la qualité de la réponse, face aux situations écologiques singulières de handicap, des nombreux acteurs de la réadaptation, dans les champs sanitaires comme médico-social, aussi bien dans leurs compétences individuelles que dans leurs co-activités et co-interventions, coordonnées, graduées et séquencées : le bon patient au bon endroit avec les bons professionnels. La méthode du patient traceur constitue une des approches de cette expérience – explicable et exportable – exprimable – de santé vécue et des pratiques interprofessionnelles collaboratives qui la sous-tendent.

Ainsi, viser la performance a un coût visible et invisible en termes de ressources humaines, d’investissements matériels et de pilotage médico-soignant… Viser l’excellence par la performance nécessite d’en apprécier ces incontournables leviers et déterminants. Peut-on performer l’adéquation, si l’offre et la demande ne sont pas équilibrées ? Peut-on performer, si les moyens ne sont pas au rendez-vous des besoins ? Peut-on « bien traiter » lorsque les ratios de patients par soignant(s) sont sous-évalués voire inexistants, comme c’est le cas en réadaptation ?

Se pose, dès lors, l’éternelle question : pour performer, être performant, et acteur de performance, aux yeux et face aux attentes des bénéficiaires et des tutelles, faut-il (ou vaut-il) mieux creuser profond ou ratisser large ? La performance ne pose-t-elle pas la question de la norme, des normes et du référencement de ces normes ? Est-ce que la performance peut se décréter ? Comment ne pas saluer le projet-visée de toute démarche qualité ? Mais il convient de trouver la juste mesure entre organiser, formaliser pour normaliser, afin de convaincre plutôt que de contraindre. Donner du sens aux pratiques professionnelles, valoriser l’innovation et la sérendipité est l’une des clés de l’attractivité et de la fidélisation.

Ensemble, plus loin

La pratique basée sur les preuves est un exemple de démarche visant la performance co-construite : elle porte en elle la recherche des pratiques probantes, mais aussi – ce qui est trop souvent oublié – la mise à l’épreuve des pratiques probantes – aux éléments de contexte de soin – disponibilité ou rareté des moyens, au degré d’expertise du thérapeute et aux besoins formulés ou implicites des bénéficiaires. Ainsi, des écarts peuvent s’observer face à la norme attendue. Ces inédits constituent des performances.

Dès lors, la performance ne peut se penser que par et avec le bénéficiaire et les acteurs de santé. Les co-constructions des normes, des indicateurs et des ratios ne peuvent s’inscrire que dans des dialogues éthiques où la culture de soin et de la qualité se conjuguent, où la valeur qui fait sens est portée par une triade d’encadrement médical, administratif et soignant, au service des institutions et des bénéficiaires mais aussi au retour sur investissement que constitue la satisfaction au travail des acteurs. La co-construction des outils de compréhension des activités de soins porte en elle les germes d’un ajustement des organisations et des compétences, et d’une performance adaptative des acteurs de soins.

Références :

– Devailly J.-P., Josse L. « Les programmes de soins en médecine de réadaptation ». Gestions hospitalières, 611. Févr. 2021.

– Haller P.-H., « L’attractivité et la fidélisation des métiers à l’hôpital exemple : le kinésithérapeute ». In Hôpital : les #idées des acteurs. CRAPS. 2020.

– Haller P.-H., Dupont-Westphal A. « À propos de corps soigné et de corps soignant, Maladies, handicap, transhumanisme et éthique des soins interprofessionnels ». In Santé publique, sciences humaines et sociales, formation et professionnalisation. Elsevier Masson. 2021. p. 154177.

– Inthavong K., Haller P.-H., Fages C., Arnaud J.-Y., Ferrey C., Soler J. « Mesurer la charge en soins paramédicale, ajuster les organisations et les compétences ». Gestions hospitalières. 619. Oct. 2022.

– Stiker H.-J. Comprendre la condition handicapée. Réalité et dépassement. Toulouse. Érès. 2021. 128 p.

Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP