INTERVIEW
Valérie Schmitt
Directrice Adjointe du Département de la Protection sociale du Bureau International du Travail
La Protection sociale est une idée récente à l’échelle de l’Histoire. Certains la trouvent même une idée d‘avenir, quand bien même remise en cause par d’autres car trop onéreuse. Pour le BIT, un socle minimum de Protection sociale à l’échelle de la planète est-il envisageable, souhaitable ou reste-t-il une utopie ?
Actuellement, à l’échelle mondiale un socle de Protection sociale commun est inenvisageable car chaque pays n’a pas la même réalité économique et sociale. Cependant des garanties communes doivent être envisagées, notamment :
1. l’accès aux soins de santé essentiels, y compris les soins de maternité ;
2. la sécurité élémentaire de revenu pour les enfants, accès à l’alimentation, à l’éducation, aux soins et à tous les autres biens et services nécessaires ;
3. la sécurité élémentaire de revenu pour les personnes d’âge actif qui sont dans l’incapacité de gagner un revenu suffisant, notamment pour les cas de maladie, de chômage, de maternité ou d’invalidité ;
4. la sécurité élémentaire de revenu pour les personnes âgées.
Selon chaque pays, les garanties de ce socle seront déployées à différentes échéances. En effet, dans la plupart des pays en développement seulement 10% de la population possède une Protection sociale. Généralement, la garantie « retraite » est plébiscitée en première puisqu’elle est la plus facile à mettre en place, sous réserve d’avoir un système d’identification des personnes âgées (ce qui reste parfois difficile dans certains pays). La couverture maladie universelle est la seconde garantie appliquée en priorité. A contrario, l’Assurance chômage, reste la protection la moins présente dans les pays en développement. Aujourd’hui dans le monde, seulement 22% des personnes sans emploi ont accès à une couverture concernant ce risque, les autres malheureusement sont bien souvent victimes de la pauvreté, essayant de survivre via une activité exercée dans l’économie informelle.
Pouvez-vous nous citer un exemple d’action que vous mettez en œuvre ?
La Thaïlande est un exemple particulièrement pertinent. Ce pays a réussi une transition rapide, d’un système d’assurance maladie initialement prévu pour le secteur formel, à une couverture d’assurance maladie universelle. Les programmes étaient historiquement en faveur des fonctionnaires et de l’économie formelle, excluant de fait, la majorité de la population thaïlandaise. Le gouvernement a alors mis en place un régime universel nommé 30 Bath Sheme, chaque Thaïlandais a ainsi pu s’inscrire à ce programme en payant 30 Bath (environ 1 euro). Cette couverture permet ainsi à la quasi-totalité des Thaïlandais d’être couvert par ce programme subventionné par l’État, avant celle-ci seul 24% d’entre eux bénéficiaient de cette couverture. Ce régime universel a créé une forte demande de soins de la population thaïlandaise, puisque dans un laps de temps assez court, ces derniers avaient acquis la possibilité de se soigner. Dès lors un investissement massif pour étendre l’offre de soins a été nécessaire.
Pouvez-vous à échéance d’une génération nous dire quels progrès en termes de Protection sociale seront obtenus ?
La décision politique prise couplée à la capacité de l’état de financer, les progrès en matière de Protection sociale peuvent être assez rapides, à titre d’exemple la Chine (1,386 milliard d’habitants) a réussi à développer un système d’assurance maladie et de pensions universelles. Pour un pays de cette taille, cette réussite est tout simplement exceptionnelle ! Pour pouvoir ambitionner cette réussite, il faut qu’il y ait véritablement cette volonté politique de transformation du paysage social et que celle-ci soit prioritaire notamment dans le budget de l’état. À l’échelle de la planète, nous constatons via la publication du rapport mondial (rapport mondial de la Protection sociale 2017-2019) un léger progrès dans le cadre de la généralisation d’une couverture de Protection sociale. En effet, en 2014, 73% de la population mondiale ne disposait pas d’une Protection sociale adéquate ; en 2017, cet indicateur nous permet d’identifier une progression de 2% (71% de personnes non couvertes). Néanmoins 55% d’entre elles n’ont accès – encore aujourd’hui – à aucune protection.
2019, c’est l’année du centenaire de l’OIT, quelles sont les actions qui valoriseront celui-ci ?
En effet, l’année prochaine nous célébrerons le centenaire de l’OIT et nous lancerons à cette occasion une grande campagne de communication, qui retracera les grands évènements des cent dernières années. Ce sera également l’occasion de faire un état des lieux de la Protection sociale dans le monde et notamment de rappeler que le BIT trouve qu’il est inacceptable que 55% de la population mondiale n’ait accès à aucune protection contre les risques de la vie. Nous travaillerons également sur l’avenir de la Protection sociale, notamment sur les nouvelles formes de travail et in fine sur l’adaptation de la Sécurité sociale à celle-ci afin que ces populations restent protégées. À cette occasion, nous invitons tout le monde à participer à ce centenaire via un site internet dédié. En France, un partenariat étroit avec l’EN3S (Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale) permettra l’organisation d’un colloque avec de grandes entreprises à Paris. Enfin, nous organisons le 24 octobre 2018, notre réunion annuelle sur la Protection sociale à Genève, celle-ci réunira l’ensemble de nos partenaires, dont le CRAPS. Une séance spéciale est notamment prévue afin que chaque partenaire puisse exprimer les différentes actions dans lesquelles ils seront impliqués.