L’Ambassadeur Louis DOMINICI, Président de la Mutuelle des Affaires étrangères et Européennes (MAEE), a reçu Monsieur Fabien BRISARD et Monsieur Pierre-Maxime CLAUDE venus l’interviewer. Sur le mur, derrière son bureau, son diplôme de l’Ecole Nationale de France et d’Outre Mer, le décret du Président de la République le promouvant au grade de Commandeur de la Légion d’Honneur et deux photos où il s’entretient à Libreville avec le Daïla-Lama et à Rome avec le Pape Jean-Paul II.
Qu’aimeriez-vous nous dire de votre histoire personnelle ?
Je suis né dans le village de Patrimonio, en Haute-Corse, et j’y ai grandi au plus près de la nature, entouré de parents et d’amis, dans une société de partage. Nous allions et venions librement d’un hameau à l’autre, d’un champ à l’autre, parmi les vergers, les vignes et les oliviers. Nous poussions parfois jusqu’au torrent, où l’on se baignait dans de grandes vasques d’eau claire. Le village de l’enfance reste un vert paradis.
L’école primaire communale a beaucoup compté pour moi, grâce à la qualité des maîtres. C’était le temps de la Seconde Guerre mondiale. Malgré l’occupation italienne, puis celle des Allemands, nous les enfants, nous en avons été relativement protégés, mais je ressens que c’est dès cette période que j’ai compris la vertu première de la paix.
J’ai été un bon élève au lycée de Bastia, où j’ai tellement aimé le latin que j’étais sur le point de le parler comme une langue vivante. Il y a eu ensuite trois années de préparation au lycée Louis Le Grand, pour le concours d’entrée à l’école Nationale de la France d’Outre-Mer (ENFOM), qui portait mes rêves d’outre-mer. Deux ans de service militaire dans les deux dernières années de la guerre d’Algérie, où j’étais Officier des Affaires Algériennes, m’ont appris la mesure des nouvelles réalités.
L’empire n’étant plus, j’ai choisi d’aller aux Affaires Étrangères. J’y ai servi à Paris et à l’étranger, principalement en Afrique et en Europe : Yaoundé, Copenhague, Freetown, Libreville, Tirana, et enfin Rome. Peu après le début de ma carrière, je suis allé servir dans des cabinets ministériels, avant d’être nommé au ministère de l’Environnement, Directeur de l’Information puis Inspecteur Général de l’Environnement. Revenu aux Affaires Étrangères, j’ai pris, tout en poursuivant ma carrière diplomatique, des responsabilités à la tête du syndicat « maison » où je suis encore. À ma retraite, je me suis engagé dans l’action mutualiste et j’assure encore aujourd’hui les fonctions de Président de la Mutuelle des Affaires Étrangères et Européennes (MAEE). Je m’associe à la construction de groupes mutualistes, notamment avec la MGEN, avec qui je suis entré au groupe VYV, créé fin 2017. J’ai récemment participé à la cofondation de l’Union de Groupe Mutualiste dénommée « MGEN Partenaires », dont je suis Vice-Président. L’action mutualiste est passionante. Elle nous aide à aller toujours plus loin dans les secrets de la fraternité.
Comment en êtes-vous venu à la carrière diplomatique ?
J’avais prévu dans mes études supérieures, d’aller vers le monde à travers la France d’outre-mer, en rêvant de l’Asie, de l’Afrique ou des îles lointaines. L’Empire ayant disparu, alors que je venais d’achever mes études et mon service militaire, j’ai pu choisir la diplomatie, qui m’ouvrait aussi le monde et ses peuples infinis.
Quel est le rôle d’un Ambassadeur de France ?
Il représente la France au plus haut niveau. Il arrive avec les lettres de créance du Président de la République française et il les présente au Chef de l’État auprès duquel il est envoyé. Au nom du Chef de l’État et du Gouvernement français, il traite avec le Chef de l’État et le gouvernement du pays de résidence. Il veille aux intérêts de la France. Il protège les Français avec le concours des Consuls. Il favorise les échanges de toutes sortes, notamment économiques et culturels. Il assure personnellement la continuité du dialogue politique d’état à état. C’est un métier où les responsabilités sont grandes. C’est un métier exposé, ouvert, multiforme, et où les relations humaines tiennent la première place. Comment ne pas l’aimer ?
Alors que vous étiez Ambassadeur de France à Rome à l’OAA/FAO, vous avez été élu au poste considérable de Président du Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies. Pouvez-vous nous parler de cette mission ?
Oui. Volontiers. Le Programme Alimentaire des Nations Unies est une organisation considérable par sa mission et par ses moyens, qui a pour objet d’apporter une aide alimentaire partout dans le monde, lorsque la faim y sévit. La faim s’installe dans certaines régions frappées par la guerre entre les États ou par la guerre civile et où la production alimentaire locale alors se défait, tandis que se répand la misère. La faim s’installe aussi dans beaucoup de pays et de régions, où les conditions naturelles sont trop difficiles, le plus souvent à cause du manque d’eau, mais aussi lorsque la terre, même si elle ne manque pas d’eau, est surpeuplée, alors que font défaut les moyens financiers et techniques qui permettraient de mieux la cultiver. C’est ainsi que 800 millions d’êtres humains, sur tous les continents, n’ont pas les moyens de s’alimenter suffisamment.
Le Programme Alimentaire Mondial fournit des aliments pendant souvent de longues périodes et il s’efforce, dans les zones où la faim ne cède pas, de favoriser une reprise des cultures susceptibles de réduire le besoin et de donner sens à ceux qui y travaillent. Les contributions au Programme Alimentaire Mondial viennent principalement des pays développés. Elles sont fournies en argent ou en nature et dans ce cas notamment en riz et en farine de blé. Il reste qu’il n’est pas rare que les mêmes pays développés participent à des guerres d’où naît la faim qu’ils tentent par ailleurs de réduire. La confusion de l’Histoire est à l’image de la confusion des esprits chez les puissants de ce monde.
Comment voyez-vous l’évolution de l’Afrique et des relations franco-africaines ?
L’Afrique grandit et se développe. Elle le fait comme les pays du Nord dans les deux siècles passés avec des injustices, des drames, des espérances et de vrais progrès. La France a besoin de s’adapter aux évolutions de l’Afrique, qui sont différentes selon les régions et les pays. Après s’être concentrés sur les pays francophones d’Afrique, les gouvernements français ont cherché à étendre leur coopération à l’ensemble du continent. C’est un mouvement naturel, à condition qu’il ne nous conduise pas à laisser se distendre les relations avec les pays francophones, au Maghreb et en zone tropicale.
Les gouvernements français qui se sont succèdé dans les trente dernières années, mesurant l’ampleur des besoins de coopération en Afrique au fur et à mesure que le continent se développait, se sont efforcés de partager l’effort avec les pays de l’Union européenne. Mais rien n’assure que la politique de l’Union européenne puisse se déployer sans porter atteinte aux positions de la France et à ses intérêts. Rien n’assure que les autres pays de l’Union européenne considèrent durablement que les positions acquises en Afrique par les anciennes puissances coloniales (France, Royaume-Uni, Portugal, Espagne), avant les indépendances et pendant les presque soixante années qui ont suivi, puissent se pérenniser.
Tout indique donc que la France a intérêt à revenir davantage par elle-même vers l’Afrique, et en particulier vers l’Afrique francophone, et que tout en travaillant sur tous les registres civils et militaires de la coopération, elle serait bien inspirée de construire avec les Africains une nouvelle et grande coopération culturelle. Pour les uns et les autres, la dimension primordiale de l’avenir est la dimension de l’esprit.
Dans ce contexte, que pourriez-vous dire sur l’évolution de la Protection sociale de l’Afrique ?
Elle est encore insuffisante comme dans tous les pays en voie de développement. Elle est quasi inexistante dans les pays les plus pauvres. Elle a fait des progrès significatifs dans certains pays relativement riches, comme le Gabon qui dispose d’un système de Sécurité sociale et d’une Caisse de retraite. L’esprit de solidarité familiale et clanique, qui caractérise les sociétés africaines, favorise une entraide importante en matière de Protection sociale et particulièrement de santé, qui devrait servir de base naturelle à un développement organisé de la Mutualité. Il y faudra encore du temps. Il faudra surtout que, sur ces bases traditionnelles, les Africains établissent et reconnaissent l’identité du fait mutualiste et évitent à celui-ci de perdre son âme dans un rapprochement conceptuel, administratif et fiscal, avec le monde des assurances à but lucratif.
Comment êtes-vous devenu Président de la MAEE ?
J’ai toujours été mutualiste. Je me suis toujours intéressé à la solidarité entre les agents du ministère des Affaires Étrangères. En arrivant à la retraite et disposant par conséquent de plus de temps, je me suis porté candidat à la fonction de Délégué à l’Assemblée Générale, puis d’Administrateur puis de Président. J’assume cette mission au sein d’une équipe où vont ensemble la compétence et le cœur.
Quelles sont, à vos yeux, les principales évolutions du monde mutualiste d’aujourd’hui ? Et qu’en pensez-vous ?
Apparemment, il y en a de bonnes, il y en a de mauvaises.
Les mauvaises évolutions ne résultent pas des initiatives des responsables mutualistes actuels. Elles viennent d’un courant de pensée qui a pris forme au sein de la Commission Européenne à Bruxelles et qui tend à gommer l’identité des Mutuelles pour les faire entrer dans le cadre général de l’Assurance avec un grand « A ». Ce courant les pousse, au nom de l’efficacité, vers des modes de gestion bureaucratique ; et au nom du principe de libre concurrence, vers des affrontements avec les compagnies d’assurance ou même à des affrontements entre Mutuelles. En matière de solidarité humaine, le principe de concurrence est un mauvais principe.
Les bonnes évolutions viennent des Mutuelles qui pour résister coopèrent, constituent des groupes, partagent des moyens et des objectifs concrets. Plusieurs d’entre elles avancent plus que d’autres sur le champ conceptuel, afin de défendre l’identité des Mutuelles, la souveraineté de leurs assemblées générales, la libre définition de leurs services, leur gestion de proximité, la reconnaissance que leur doivent les pouvoirs publics, à commencer par l’État en matière fiscale, où il est injuste d’imposer la fraternité au même titre que les bénéfices. Cette ligne de pensée et d’action doit rassembler le plus grand nombre afin que l’État mesure l’importance des enjeux, se mette davantage à l’écoute des mutualistes et retrouve dans ce domaine aussi, le rôle qui est le sien en faveur de tous et des initiatives citoyennes de solidarité.
Quelle est votre vision de la coopération intermutualiste en France ainsi qu’à l’échelle européenne ?
La coopération intermutualiste en France, en matière de santé et de prévoyance, est certes importante, mais elle pourrait l’être encore plus. Elle donne lieu dans certains cas à des fusions, dans d’autres à la constitution de groupes, soit à visée intégrative comme les Unions Mutualistes de Groupe (UMG), soit à visée coopérative souple comme les Unions de Groupe Mutualiste (UGM). Certaines mutuelles établissent dans ce contexte des relations bilatérales privilégiées, où chacune conserve son identité et son autonomie mais où les appuis réciproques et les perspectives communes ne cessent de se renforcer. C’est ce que font ensemble, la MGEN et la MAEE.
Sur le plan européen, il me semble que nous ne disposons pas en France d’assez d’éléments, pour voir comment les Mutuelles des différents pays, pourraient davantage coopérer pour s’apporter réciproquement des facilités et des appuis, leur donnant à chacune une dimension internationale. La problématique à cet égard est d’autant plus complexe que la Mutualité dans beaucoup de pays de l’Union européenne est moins développée qu’en France. Dans le même temps, on ne peut que constater que les Mutuelles dans l’Union européenne sont par définition sensibles, on devrait même dire soumises, à des pressions politiques et réglementaires qui s’expriment à partir de la Commission Européenne et qui réduisent leur marge d’autonomie.
Mais c’est précisément pour cette raison que la Mutualité française doit prendre davantage d’initiatives en direction des autres mutuelles en Europe afin, non seulement de constituer des forces plus larges, mais aussi et surtout, pour convaincre la Commission Européenne qu’il faut donner une plus grande chance à l’action mutualiste en Europe. Les refus opposés jusqu’ici à ceux qui ont formulé des vœux et demandes dans ce sens auprès de la Commission, ne peuvent pas être définitifs. Les Mutuelles qui ont le plus de poids en France, avec si elles le veulent le concours des mutuelles qui ont, comme la MAEE, une expérience des négociations internationales, devraient revenir à la charge, pour une reconnaissance pleine et entière de leur identité avec les conséquences réglementaires, législatives et fiscales qui devraient en résulter. Il est encore temps.