INTERVIEW
Cédric Arcos
AMBASSADEUR DU SYSTÈME DE SANTÉ DANOIS EN FRANCE MAÎTRE DE CONFÉRENCE EN POLITIQUES DE SANTÉ À SCIENCES-PO
Le Danemark a fait le choix de la décentralisation en 2007, par conséquent a modifié sa carte sanitaire et revu les attributions des acteurs administratifs et médicaux. Quels enseignements la France devrait-elle en tirer ?
Le principal enseignement pouvant être tiré des réformes engagées par le Danemark est que la réforme du système de santé est possible ! Il y a 15 ans en effet, le Danemark connaissait une situation de crise comparable à celle que nos organisations traversent aujourd’hui. Les responsables danois ont alors fait le choix de prendre des mesures drastiques au premier rang desquelles le lancement d’un grand plan d’investissement pour moderniser le tissu hospitalier et surtout accélérer le virage numérique. Ils ont également souhaité baser leur transformation sur les soins de première ligne et rapprocher le pilotage du système de santé au plus près du terrain en engageant un mouvement de décentralisation très profond. C’est ainsi que 5 régions ont été créées avec la mission de piloter directement le système de santé, de l’adapter aux besoins de chaque territoire mais aussi et surtout de superviser la mutation du système hospitalier, en lien direct avec les besoins et évolutions du territoire. Dans le même mouvement, les municipalités se sont vues confier des responsabilités en matière de santé et d’autonomie, avec notamment la charge d’intégrer une dimension santé dans l’ensemble de leurs politiques, qu’il s’agisse de l’aide aux aidants, de la conception d’espaces urbains favorables à l’activité sportive ou encore de la prévention aux plus jeunes âges de la vie.
Ce qui est intéressant, c’est que cette décentralisation s’est accompagnée, d’une part d’une responsabilisation financière des collectivités (une région est ainsi responsable financièrement d’éventuels déficits hospitaliers) et, d’autre part, d’un repositionnement du rôle de l’état sur ses missions fondamentales que sont la garantie de la cohérence de l’ensemble du système, la lutte contre les inégalités et surtout la préparation de l’avenir du système au moyen de grands plans tels que celui de la médecine personnalisée ou de la digitalisation de toutes les étapes du parcours de soins. Le dernier enseignement que cette expérience nous apporte est celui du besoin de continuité. En effet, les responsables danois ont su faire de la réforme du système de santé un point de convergence politique, permettant aux réformes de s’appliquer progressivement et surtout de ne pas être remises en cause au gré des changements de gouvernement. Cette constance dans le temps est un point crucial pour comprendre la réussite des réformes danoises.
Le médecin généraliste salarié est un pivot au Danemark de la coordination des différents acteurs de soins et participe à la régulation de l’offre de soins hospitalière, la France devrait -elle se doter d’un schéma organisationnel identique ?
Pour moderniser son système de santé et mieux répondre aux besoins des patients, les Danois ont très tôt compris que les soins de premier recours constituaient une priorité absolue. Ainsi, le plan de réformes de 2007 a-t-il fait du renforcement du rôle des professionnels de santé de première ligne un point clé, d’abord en les positionnant en régulateur central du parcours de santé, d’autre part en poussant très loin les coopérations professionnelles et les délégations de tâches. Ce sont donc des équipes pleinement pluriprofessionnelles qui sont aujourd’hui au cœur du système de santé danois et qui ont fait l’objet de toutes les attentions du gouvernement. Au-delà de la revalorisation de leurs conditions d’exercice et de leurs missions, de nouvelles régulations ont été mises en place, dont l’illustration la plus spectaculaire est celle de l’accès aux urgences.
Pour un Français, visiter un service d’urgence danois est assez déconcertant tant le calme y règne et tant la fréquentation est modérée. C’est que les patients ont désormais l’obligation, en cas de besoin de santé ressenti comme urgent, de contacter une plateforme téléphonique de régulation, avec au bout du fil un médecin qui va l’orienter vers la structure la plus adaptée à son état. Ce schéma a été rendu possible par un effort de pédagogie très poussé mais également par l’obligation faite aux médecins et aux structures de soins de première ligne de réserver des plages de consultations aux demandes non programmées et d’accepter les rendez-vous pris automatiquement depuis la plateforme téléphonique de régulation. Plutôt qu’une mesure isolée, c’est donc tout un plan d’ensemble basé sur les médecins de proximité qui a permis d’obtenir des résultats concrets et notamment de mettre fin à la crise des urgences.
Quels sont selon vous les freins qui empêchent aujourd’hui la France de mener une réforme d’ampleur pour son système de santé à l’instar de celle initiée au Danemark en 2007 ?
En matière de santé, la France n’est pas en manque de réformes et il serait inexact de dire que notre système n’a pas su progresser. Des réformes importantes ont été conduites mais il est vrai, en revanche, que ces réformes ont plutôt visé à aménager le système de santé existant plutôt qu’à engager des réformes systémiques et des réformes de son pilotage. Cela s’explique par le fait que nos organisations ont atteint un niveau de complexité très fort qui rend difficile toute volonté de réforme profonde car toucher à une partie de l’édifice risque de faire vaciller l’ensemble. Mais l’essentiel pour moi n’est pas là.
Le principal obstacle à une réforme globale est le fait que la santé reste curieusement en France un sujet réservé aux experts. Bien que première préoccupation des Français, rares sont les débats consacrés à la santé pendant les campagnes électorales, si bien que nos concitoyens n’ont jamais réellement eu leur mot à dire sur les questions majeures qui touchent nos organisations et le cap pris par notre système. Alors qu’aux états-Unis, en Espagne ou encore au Royaume-Uni, la santé fait partie intégrante du débat politique, la France n’est jamais vraiment parvenue à dessiner une vision de l’avenir de notre système qui soit portée par les citoyens, entraînant la défiance que nous observons chaque jour. Au Danemark, le débat public a ainsi été au cœur des dynamiques de transformation, conduisant les responsables politiques à proposer des choix clairs et à les suivre dans la durée. Surtout, il ne faut jamais oublier qu’il serait illusoire de vouloir dupliquer un autre modèle en France. Chaque pays a son Histoire, sa culture, ses organisations et une réforme doit s’inscrire dans ce fil. Ce sont donc bien d’inspirations dont nous avons surtout besoin plutôt que de modèles.