Tribune
PAR CATHERINE DEROCHE
Présidente de la Commission des Affaires Sociales au Sénat
Les conditions d’accès au marché des médicaments reposent sur un équilibre subtil entre trois éléments essentiels : l’accès rapide des patients à une innovation thérapeutique porteuse d’espoirs, les exigences d’efficacité et de sécurité sanitaires et les enjeux, non moins sensibles, de maîtrise du coût pour les finances publiques.
L’accélération des innovations au cours de cette dernière décennie, en particulier en oncologie, réinterroge en profondeur notre modèle et nos procédures « de droit commun », peu adaptés à un tel changement de paradigme. Comme le relevait la Mecss du Sénat1, les lenteurs et les lourdeurs de l’accès au marché des médicaments innovants dans notre pays renvoient l’image d’un système de santé qui subit l’innovation, et son coût, plutôt que de l’anticiper et de l’accompagner.
Si nous souhaitons que la France demeure pionnière en matière d’accès aux innovations thérapeutiques, comme elle a su l’être dans les années 1990 avec le dispositif longtemps envié des autorisations temporaires d’utilisation, ATU, il nous faut lever des freins et repenser, en particulier, les procédures d’évaluation du médicament.
La réforme de l’évaluation du médicament figure à l’agenda depuis le 8e conseil stratégique des industries de santé du 10 juillet 2018, sans résultat concret à ce jour.
Il est vrai que la substitution d’un seul critère – la valeur thérapeutique relative – aux deux critères actuels déterminés par la commission de transparence de la Haute Autorité de santé – le service médical rendu (SMR) et l’amélioration du service médical rendu (ASMR) – soulève des difficultés pratiques, notamment des conséquences sur le taux de prise en charge du médicament.
Toutefois, les enjeux nous imposent de surmonter ces difficultés. L’accélération des innovations bouscule nos procédures classiques et exige une approche plus dynamique, plus souple, dans le respect des exigences fortes en matière d’éthique et de sécurité qui contribuent à l’excellence du modèle français.
Les autorisations de mise sur le marché accordées par l’agence européenne du médicament à des stades plus précoces peuvent reposer sur des données scientifiques jugées peu robustes qui complexifient l’évaluation par la HAS et l’invitent à la prudence, d’autant que le niveau d’ASMR détermine ensuite le niveau de prix du médicament. Cette situation crée des tensions, des incompréhensions voire des blocages qui sont autant d’obstacles sur le parcours d’accès au marché de thérapeutiques potentiellement innovantes. La réforme des ATU engagée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, dont la commission a soutenu le principe, va de même conduire la HAS à déterminer si le médicament est « présumé innovant ».
Dans tous les cas, ce « pari de l’innovation » doit s’inscrire dans un cadre transparent, pour assurer une bonne compréhension de tous les acteurs, mais aussi suffisamment agile pour tirer les conséquences appropriées quand un médicament ne tient pas ses promesses. Le principe d’un remboursement temporaire conditionné à l’apport de données supplémentaires et d’une réévaluation plus régulière et évolutive sur la base des données cliniques collectées en vie réelle introduirait une souplesse bienvenue dans des schémas aujourd’hui trop rigides pour s’adapter aux spécificités des différentes catégories de médicaments, qu’ils soient ou non innovants.
Cette approche plus dynamique permettrait une gestion plus pertinente des dispositifs de liste en sus pour la prise en charge des traitements onéreux à l’hôpital ou encore du référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN) dans le domaine de la biologie médicale. Les travaux conduits par la Mecss sur l’accès précoce aux médicaments innovants ont ainsi montré le caractère inadapté de l’ASMR pour l’inscription sur la liste en sus. La sédimentation de ces listes, a fortiori dans le cas d’une enveloppe budgétaire fermée comme le RIHN, a des conséquences néfastes sur la prise en charge des patients, en particulier ceux atteints de cancer en les privant des tests dits « compagnons » essentiels pour préciser le diagnostic et accompagner le développement de la médecine personnalisée en oncologie.
Une innovation thérapeutique peut contribuer, en favorisant la « désescalade thérapeutique » ou en améliorant la qualité de vie des patients, au renforcement de la pertinence des soins et, au final, de l’efficience du système de santé. Cette dimension médico-économique, encore trop balbutiante, apparaît comme un complément indispensable de tout processus d’évaluation moderne. Mettons les patients et leurs besoins au cœur de notre approche.
1 « Médicaments innovants : consolider le modèle français d’accès précoce », rapport d’information n° 569 (2017-2018), par Yves Daudigny, Catherine Deroche et Véronique Guillotin, Sénat.