Tribune

« Le salariat déguisé, sous quelque forme que ce soit, est une menace contre laquelle nous devons lutter avec vigueur »

Par
Christophe Sans,
Président de l’UNAPL

L’Union nationale des professions libérales (UNAPL), que j’ai l’honneur de présider, représente depuis 1977 une communauté de 3 millions d’actifs, regroupant 68 organisations syndicales dans les secteurs de la santé, du droit, du technique et cadre de vie. Le secteur libéral, avec plus de 300 000 créations d’entreprises chaque année, est un pilier de notre économie. Pourtant, malgré leur dynamisme, les professions libérales peinent à obtenir la reconnaissance qu’elles méritent, tant sur le plan économique que social.

Et pour cause, les professions libérales en France sont confrontées à des transformations profondes. Des enjeux se posent pour préserver les notions d’indépendance et de responsabilité dans nos métiers. Ces valeurs sont le cœur de notre identité, pourtant, elles sont mises à l’épreuve dans un contexte où les évolutions technologiques, économiques et législatives redéfinissent les contours mêmes de ce que signifie être un professionnel libéral. Dans le cadre de la poursuite de nos réflexions sur la notion d’identité des professions libérales, nous avons organisé, le 8 octobre dernier, un colloque portant sur l’avenir des professions libérales, sur l’indépendance, la responsabilité, mais aussi le lien de subordination.

L’indépendance : une valeur menacée ?

L’indépendance est sans aucun doute la valeur la plus précieuse de nos professions. Cette quête d’autonomie, que partagent 98 % des professionnels libéraux selon une étude menée par l’UNAPL et Harris interactive en 2021, nous permet d’exercer notre métier avec passion et conviction. Organiser notre temps de travail, gérer nos cabinets, servir nos clients et patients sans être soumis à une hiérarchie, c’est ce qui fait la particularité et la noblesse de nos métiers. Pourtant, cette indépendance peut être fragilisée.

L’essor des plateformes numériques, la financiarisation de nombreux secteurs, notamment celui de la santé, et les nouvelles formes d’organisation du travail, comme l’auto-entrepreneuriat, interrogent cette indépendance. Bien que ces transformations puissent sembler offrir plus de liberté, elles engendrent souvent une dépendance économique. Les professionnels intégrés à des réseaux, ou travaillant pour des plateformes, risquent de perdre la maîtrise de leur activité. Le salariat déguisé, sous quelque forme que ce soit, est une menace contre laquelle nous devons lutter avec vigueur.

La responsabilité, une boussole éthique

En tant que professionnels libéraux, nous portons une responsabilité particulière envers nos clients et nos patients. C’est une autre valeur qui fait l’essence même de nos métiers. Nous nous engageons à délivrer des prestations de qualité, dans le respect de règles déontologiques strictes. Que ce soit le secret professionnel, la loyauté ou encore le respect des engagements, ces principes constituent notre boussole éthique.

Mais la responsabilité ne s’arrête pas à l’individu, elle touche aussi nos organisations. Dans un monde marqué par la complexification des services, le développement du numérique et l’évolution rapide des attentes des consommateurs, nous devons continuer à adapter notre vision de la responsabilité. Cette adaptation est nécessaire pour intégrer les innovations tout en garantissant que la qualité et l’éthique des prestations restent inchangées.

Le lien de subordination : une ligne rouge

L’un des fondements de l’exercice des professions libérales est l’absence de lien de subordination. En tant qu’entrepreneurs indépendants, nous devons préserver cette liberté de choix et d’organisation. C’est une ligne rouge infranchissable. Cependant, l’émergence de nouveaux modèles économiques, basés sur la collaboration avec des plateformes numériques, remet parfois en question cette frontière. Jusqu’où un professionnel peut-il être libre si sa principale source de revenus dépend d’une plateforme ou d’un seul client ?

Ces nouveaux modèles appellent à une réflexion approfondie. Les législateurs, les administrations et même la justice doivent accompagner les professions libérales et l’UNAPL dans cette réflexion pour garantir un environnement juridique clair. Le cadre législatif doit être adapté pour mieux intégrer cette réalité.

Redéfinir notre identité

L’identité des professions libérales a toujours évolué. En 2012, après des années de mobilisation, notre secteur a enfin obtenu une définition juridique grâce à la loi Warsmann. Cette définition repose sur les principes d’indépendance, de responsabilité, et d’un exercice professionnel libre de tout lien de subordination. Pourtant, cette définition ne suffit plus à embrasser la diversité des évolutions que nous connaissons aujourd’hui.

La montée en puissance de l’auto-entrepreneuriat, par exemple, a transformé le profil économique et sociologique de nos professions. Plus de la moitié des nouvelles entreprises libérales sont désormais créées sous ce régime, souvent par d’anciens salariés en quête d’indépendance. Cette évolution, tout en étant bénéfique pour l’emploi, redéfinit en profondeur ce que signifie être un professionnel libéral.

Sur le plan européen, la nécessité d’une définition élargie des professions libérales est également en débat. La directive « qualifications », qui encadre nos métiers, doit s’adapter à l’apparition de nouveaux métiers non réglementés. Cette adaptation est indispensable si nous voulons préserver l’esprit de notre secteur tout en l’ouvrant à la modernité.

Préparer l’avenir

Nous nous trouvons aujourd’hui à un tournant décisif. L’intelligence artificielle, la transformation numérique, la financiarisation et les attentes des jeunes générations sont autant de mutations qui interrogent l’avenir des professions libérales. Plus que jamais, nous devons réaffirmer notre engagement à défendre l’indépendance, la responsabilité et l’éthique qui font notre force.

L’UNAPL est plus mobilisée que jamais pour relever ces défis. Nous avons renforcé notre accompagnement des nouvelles générations, grâce à des conventions avec des acteurs de l’emploi et à la généralisation des Maisons des professions libérales (MPL). Celles-ci visent à offrir un lieu d’accueil, d’information et de mutualisation des ressources pour les porteurs de projets libéraux.

Nous plaidons également pour la création d’un environnement juridique clair, capable de protéger l’indépendance de nos professions tout en permettant une adaptation aux nouveaux défis. L’UNAPL, en tant que membre fondateur de l’U2P, continuera à défendre les intérêts des professionnels libéraux auprès des pouvoirs publics, et à proposer des solutions innovantes pour assurer l’avenir de notre secteur.

Plus que jamais, il est essentiel de protéger notre identité et de promouvoir un modèle qui allie indépendance, responsabilité et innovation.

Ce modèle doit également répondre aux attentes des jeunes générations, qui aspirent à plus de flexibilité et d’autonomie. Il est de notre devoir de les accompagner dans cette voie, tout en veillant à ce que les valeurs fondamentales de nos métiers soient préservées. Nous devons construire un corpus doctrinal, notamment vis-à-vis des professionnels libéraux non réglementés, adapté aux nouvelles aspirations des professionnels libéraux, des nouveaux modes d’organisation et des impacts de l’environnement.

Nous avons aujourd’hui l’opportunité de redéfinir notre place dans l’économie, et de réaffirmer notre rôle dans la société. Ensemble, avec les pouvoirs publics, les législateurs et les partenaires sociaux, nous pouvons construire un avenir où les professions libérales continueront à prospérer et à innover, tout en restant fidèles à leurs principes fondateurs.