Tribune
Par
Marie-Laure Dreyfuss
Déléguée Générale du CTIP – Centre technique des institutions de prévoyance
Notre société a fait le choix depuis longtemps de protéger les salariés dans l’incapacité partielle ou totale de se procurer des revenus par leur travail. Les risques ont évolué avec le temps, mais l’enjeu de protection reste le même. Et, comme par le passé, ceux qui sont le mieux placés pour l’adresser, ce sont les salariés et les employeurs eux-mêmes. La dynamique des accords de branche montre d’ailleurs combien il s’agit d’un sujet clé de la négociation collective.
Une hausse de 3 % par an au cours des 10 dernières années, 8,9 millions d’arrêts indemnisés en 2023, près d’un salarié sur deux qui s’est mis au moins une fois en arrêt de travail… ces chiffres donnent le vertige. Et expliquent que la question des arrêts maladie soit devenue un sujet central, pour les gestionnaires comme pour les politiques. Mais commençons par un point positif : notre système à deux étages, même s’il est perfectible, évite aux salariés concernés de faire face à des problèmes financiers. Ce qui est vrai pour l’incapacité de travail, l’est aussi pour l’invalidité et le décès. Ces risques, à l’origine même de la création des systèmes de Protection sociale, ne seraient que très imparfaitement couverts sans les contrats collectifs de prévoyance qui méritent toute notre attention.
La prévoyance, un sujet d’entreprise
La prévoyance est et doit demeurer, un enjeu central. Pour cela, il est nécessaire de comprendre ce qu’elle est mais aussi, ce qu’elle n’est pas. La prévoyance s’avère d’abord clairement un sujet d’entreprise. Depuis toujours, l’objet des garanties est d’éviter au salarié de cumuler problèmes de santé et pertes de revenus. C’est l’esprit de la prévoyance depuis les premiers régimes instaurés par Colbert jusqu’à celui de la Sécurité sociale que nous connaissons aujourd’hui.
Et c’est même ce qui donne naissance à ces modalités de Protection sociale : l’objet de la prévoyance est bien de compenser l’incapacité ponctuelle, durable ou définitive dans laquelle se trouve la personne de bénéficier d’un revenu par son activité.
Conçue pour protéger le travailleur, la prévoyance protège aussi l’entreprise. La sécurité apportée au salarié permet à l’employeur d’avoir du personnel en meilleure santé et donc plus productif. Cette assurance lui évite par là même de devoir assumer financièrement des situations difficiles comme un accident grave ou un décès. Enfin, la prévoyance joue un rôle préventif : un salarié qui peut se consacrer pleinement à sa convalescence réduit les risques pour sa santé à moyen et long terme.
En revanche, la prévoyance n’a rien d’une assurance de confort ou d’une assurance de court terme. Elle couvre le risque lourd, celui qui peut exclure de la condition commune et faire basculer une existence. La prévoyance est donc aussi un enjeu de société, protéger de façon optimale contre ces risques, ceux qui créent de la richesse, c’est aussi protéger la pérennité des entreprises et l’avenir du pays.
La prévoyance, un sujet tabou
Oui, vous avez bien lu : tabou ! Le reproche le plus souvent fait aux acteurs de la prévoyance collective est de ne pas assez communiquer, de ne pas assez informer sur la prévoyance. C’est évidemment faux. D’abord parce que les institutions de prévoyance respectent leurs obligations légales de fournir une notice d’information à tous les salariés concernés. Et ensuite, parce qu’elles s’efforcent de faire comprendre ce qu’est la prévoyance en toute occasion. De son côté, le CTIP édite et réédite régulièrement des guides de la prévoyance collective pour expliquer et aider à comprendre l’univers de la prévoyance : les aspects légaux mais aussi le fonctionnement des différentes garanties. Donc, le sujet n’est pas un défaut d’information. Le véritable sujet réside dans la difficulté à envisager le pire. Aucun salarié n’ira spontanément se renseigner sur le capital décès pour sa famille ou sur le revenu dont il disposerait en cas d’invalidité. Même si l’entreprise fait l’effort d’acculturer le salarié au moment de son entrée en fonction, les chances que celui-ci s’intéresse à la question sont minces et cela est tout à fait compréhensible. C’est pourquoi ce risque ne peut être laissé à la seule charge de la personne. Les biais psychologiques, comme l’évitement, sont tels qu’un individu prendra rarement l’initiative de réfléchir aux conséquences de son propre décès. De plus, entre en ligne de compte la préférence pour le présent qui conduit beaucoup d’entre nous à éviter ce type d’assurance au prétexte de son prix. Ce n’est donc pas la pédagogie sur les risques ou les garanties qui est en cause mais notre aversion tout humaine au risque, surtout lorsque celui-ci est important et difficile à appréhender. D’où l’intérêt de traiter cette question au bon niveau, à savoir celui des groupes humains.
La prévoyance : collective avant tout
Le caractère collectif de la prévoyance s’explique ainsi, en partie du moins, par cette incapacité de l’individu à embrasser des risques aussi lourds. Mais il provient aussi du fait que la prévoyance est avant tout un sujet de préoccupation pour l’entreprise. Lorsque des femmes et des hommes s’investissent dans leur travail, il est logique que l’employeur et ses collaborateurs se concertent sur la meilleure façon de se protéger des risques de la vie. C’est d’ailleurs comme ça que tout a commencé : les premiers systèmes de prévoyance créés par les compagnons au Moyen-Âge avaient cet objectif. C’est pourquoi il faut bien distinguer la prévoyance d’autres couvertures à caractère individuel pour des risques proches. Le choix d’un individu de se protéger dans une situation ordinaire est dicté par son quotidien au sens large et ses intérêts personnels. En revanche, la prévoyance va au-delà de l’intérêt individuel et repose sur une dynamique collective. Elle s’appuie sur l’engagement mutuel du groupe à s’entraider. Ce n’est pas pour rien que les premiers régimes étaient gérés dans des sociétés dites de secours mutuel. Cet engagement commun est aussi la condition à la mutualisation qui permet de répartir le financement du risque entre tous les membres du groupe plutôt que de le faire peser sur le seul individu. Or, en matière de prévoyance, ce choix est fondamental. Car les risques encourus sont rares – heureusement – mais les conséquences pour les individus et leurs familles sont considérables. Les ressources à mobiliser sont également importantes. En la matière, comme souvent, l’union fait la force.
La prévoyance : le sujet des partenaires sociaux
Son caractère collectif conjugué à son importance pour l’entreprise font de la prévoyance l’un des sujets essentiels de la négociation collective. Qui est le mieux placé pour définir une garantie suffisamment protectrice que celui qui en bénéficie ? Quels meilleurs connaisseurs des conséquences potentielles d’une incapacité, une invalidité ou un décès que ceux qui côtoient tous les jours les salariés ? Quel meilleur moyen de créer du collectif que de bâtir ensemble un système de mutualisation des risques ? Depuis toujours, ce sont les acteurs de terrain, ceux qui vivent le travail au quotidien, qui ont donné naissance à des systèmes de Protection sociale. Pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui ? Alors même que chaque métier, chaque profession est devenue plus complexe et fait face à des enjeux spécifiques ? Dans les grandes branches, la question ne se pose plus : elles discutent, négocient et mettent en œuvre des garanties correspondant parfaitement aux spécificités du secteur. Elles sont capables aussi de sortir de leur cadre habituel lorsque les circonstances le justifient. Le cas de la métallurgie est particulièrement révélateur. L’accord signé en 2023, en prévoyant une couverture semblable pour tous les salariés indépendamment de leur statut cadre ou non-cadre, montre le chemin que prennent actuellement les partenaires sociaux dans la majorité des branches. Ils dépassent le cadre existant pour permettre à de plus en plus de salariés d’être mieux protégés. La réduction du nombre de branches, en favorisant la recherche de compromis plus large, va dans ce sens.
Grâce au dynamisme de la négociation au sein des branches comme des entreprises, la couverture prévoyance des salariés est en constante évolution de manière à intégrer les nouvelles attentes des salariés et des entreprises, les nouveaux risques et bien sûr les évolutions du monde du travail.