Tribune
Par
Damien Vieillard-Baron
Président de Gerep
Les cadres bénéficient depuis 1947 d’une garantie de prévoyance qui couvre les décès et les arrêts de travail. Initialement, pour financer cet avantage, la réglementation obligeait les employeurs à cotiser à hauteur de 1,50 % de la « tranche 1 ». Les prises en charge ont, depuis, évolué en fonction des accords de branche et d’entreprise. On peut légitimement se demander si ce « privilège » accordé aux cadres ne pourrait pas être généralisé à tous. D’autant que la fusion Agirc-Arrco a contribué à réduire l’étanchéité de la frontière entre cadres et non-cadres. Une proposition de loi signée par 30 députés de la majorité, et déposée le 28 mai, entend ainsi amener à la généralisation de la prévoyance à horizon 2027. Mais, une telle initiative a tout de la fausse bonne idée : bénéfique en théorie, mais contre-productive dans la pratique.
Les réticences de 1947 restent d’actualité
Les concepteurs de la Protection sociale à la française d’après-guerre n’avaient rien contre les non-cadres. Ils voulaient juste reconstruire la France avec des salariés en bonne santé. Mais les garanties de prévoyance pèsent lourd. Imposer cette charge supplémentaire sur les bas salaires, c’était, à la fois, augmenter le coût du travail pour les employeurs et réduire le pouvoir d’achat des salariés. Le même problème se pose aujourd’hui, avec, peut-être, encore plus d’acuité. D’abord, la réforme du 100 % santé est encore récente. Elle a, certes, fortement réduit le renoncement aux soins dans le dentaire et les audioprothèses. Mais ce succès a généré des surcoûts que les employeurs comme les salariés subissent aujourd’hui avec des augmentations de cotisations de 8 à 10 % sur leurs complémentaires santé. Ensuite, comme évoqué dans notre article sur la solidarité intergénérationnelle, les nouveaux équilibres démographiques invitent à manipuler avec prudence des systèmes de répartition qui ont immanquablement pour effet de faire peser sur les jeunes actifs les avantages sociaux des plus âgés.
La tendance est en marche
Nombreuses sont les branches professionnelles qui ont, d’ores et déjà, fait le choix de gommer, partiellement, la différence de traitement entre cadres et non-cadres. En 2022, la nouvelle Convention collective nationale de la métallurgie a mis sur les rails une prévoyance obligatoire pour les non-cadres. Le Syntec et les organisations syndicales de la branche professionnelle du conseil avaient fait de même quelque temps plus tôt. Ces accords sont innovants, progressifs, adaptés aux besoins des salariés et aux enjeux des employeurs. Ils s’inscrivent dans un dialogue constructif entre partenaires sociaux et entérinent une tendance à l’œuvre dans les grandes entreprises. Pour ces dernières, la Protection sociale complémentaire est une opportunité d’améliorer leur marque employeur et d’enrichir leur politique RSE. Il en résulte une forme d’émulation entre les entreprises et une certaine créativité dans les formules proposées.
Contrainte réglementaire contre dialogue social
Quel intérêt y aurait-il donc à bousculer un processus vertueux qui avance à son rythme par la négociation ? S’agit-il de tordre le bras aux employeurs qui ne vont pas assez vite ? Pour quel résultat ? Parmi les promoteurs de la prévoyance obligatoire, on entend bien moins les syndicats que les organismes d’assurance. Ils poussent leurs arguments à grands coups de communiqués et de livres blancs. C’est sur leurs données et leur rhétorique que l’ancienne députée, actuellement Ministre du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, s’est opportunément appuyée pour soutenir son texte.
La généralisation de la prévoyance offrirait assurément d’intéressantes perspectives commerciales aux organismes d’assurance. Mais elle éteindrait une belle occasion de dialogue entre partenaires sociaux. Elle conduirait, sans aucun doute, à standardiser et figer l’offre de garanties. In fine, elle contribuerait à dévaloriser un avantage social ressenti comme tel par les salariés, et librement consenti par les employeurs. Cet élément de salaire négocié deviendrait une taxe imposée. Un cadeau non souhaité fait aux salariés avec leur propre argent. Et plutôt que d’amplifier le mouvement inéluctable de réduction des différences entre cadres et non-cadres, elle risquerait d’en casser l’élan.