Sandy Brice
Sociologue
Les blessures, fruits de l’aguerrissement et de la rusticité propres à l’Armée française, doivent être dans un interstice de valeur : sublimes sans être incapacitantes, pour ne laisser voir que la blessure qui grandit le militaire, celle qui malgré tout lui permet de continuer son métier, sinon c’est la faiblesse qui s’expose et avec elle, la remise en question de l’identité du militaire. C’est l’ethos guerrier, héritage d’une tradition militaire qui s’exprime à travers l’indicible. Mais si certaines blessures n’entraînent que pour conséquences l’exposition de sa part guerrière en sa capacité à traverser la douleur en prouvant que l’on mérite sa place de soldat, d’autres déchirent les âmes. C’est le cas de la blessure psychique, ou état de stress post-traumatique chronique (ESTPc) qui signe généralement l’arrêt du métier de militaire. Pour certains d’entre eux, un processus de reconversion quelque peu forcé par un destin tragique commence alors.
Protéger nos soldats, c’est tenter de leur faciliter le passage entre deux mondes, en simplifiant l’accompagnement dans le processus de reconversion.
Ce processus de reconversion pour les militaires, à qui l’ESPTc a arraché leurs identités, se retrouve dans les limbes de l’identité psychique, et expérimente une position liminaire, caractéristique d’une situation de seuil. Ne pouvant plus exercer leur métier, les privant alors de leurs identités de militaires, ils ne sont pas encore pour autant des « civils ». C’est ce no man’s land identitaire qui est la cristallisation de cette expérience de liminalité. En effet, « Cette situation liminaire est une condition essentielle et nécessaire du passage car, en annulant les marques d’un statut antérieur, elle rend possible l’acquisition de l’autre statut. L’individu se trouve alors dans une situation spéciale pendant un temps plus ou moins long : il flotte entre deux mondes ». Ainsi, quand la reconversion en milieu civil a lieu, celle-ci est souvent vécue comme une « petite mort » laissant aller l’identité héroïque militaire au profit d’une autre potentiellement plus banale. Faire le deuil de l’institution pour ces militaires réside alors dans l’acceptation de ne plus faire partie du nous, et d’intégrer de nouvelles normes et systèmes de référence qui pouvaient parfois leur sembler absurdes. Ainsi, la première étape du processus de reconversion étant d’apprendre à se penser seul. De plus, les tâches administratives dans le parcours de reconversion d’un militaire blessé peuvent être complexifiées par la multiplicité des définitions juridiques et donc de l’ouverture des droits qui en dépendent, par les différents acteurs (les cellules d’aides aux blessés, Défense mobilité…). Ainsi, l’utilisation d’un vocable juridique commun à tous simplifierait le parcours de reconversion, déjà éprouvant, pour les militaires blessés. Nous constatons donc l’importance accordée à l’après pour nos soldats, tant par des acteurs administratifs qu’associatifs, cependant, faisons-nous vraiment le nécessaire ? N’y a-t-il pas un moyen de protéger les soldats en amont des blessures psychiques ? La protection réside dans la prévention, quid de celle-ci dans les armées, et dans ce cas, quelles formes pourrait-elle prendre ?
Protéger nos soldats, c’est leur permettre l’accès à des solutions pré-opérationnelles pour tenter de préparer autant l’esprit que le corps.
En effet, à l’image du corps, totem de la force du soldat, entraîné pour la bataille, qu’en est-il de la préparation mentale ? Certains régiments ont mis en place l’utilisation de Techniques d’optimisation du potentiel (TOP), à l’image des techniques de tir comme la position du tireur couché bras franc, pour accompagner le militaire dans ses missions notamment en termes de récupération post-opérations. Pour autant, de là à affirmer que cette préparation mentale pourrait éviter et donc prévenir l’ESPTc, il est beaucoup trop tôt. Cependant, c’est parce que ces techniques pourraient permettre l’optimisation de la préparation mentale opérationnelle ainsi que la gestion des émotions en situation extrême qu’il est urgent de nous intéresser à leur compréhension en termes de diffusions, d’applications, d’utilisations, et de représentations au sein des forces de Défense. Pour cela, il serait judicieux d’investiguer la place et la perception des compétences émotionnelles dans les armées, pour comprendre comment les militaires perçoivent et se représentent ces techniques. Ainsi, sur le modèle de ce qui est accompli au Canada avec le programme RVPM (« En route vers la préparation mentale »), dont le but était de « nationaliser » en un seul programme la préparation mentale des militaires et des familles […], l’objectif d’amélioration de la protection des militaires pourrait être de tendre vers une généralisation de l’utilisation pérenne des outils de gestion émotionnelle que sont les TOP.