Tribune
Pr Alain Bernard
Président de l’IRAPS Bourgogne Franche-Comté
Notre système de soins est actuellement en grande difficulté et plus particulièrement l’hôpital. Les professionnels de santé se plaignent du manque de moyens pour proposer une médecine de qualité. La fermeture des lits est considérée comme une perte de chance pour les patients. De toutes parts, nous entendons que l’État ne met pas assez d’argent pour l’hôpital et ce sont les patients qui en pâtissent. Avant d’envisager la mesure de la qualité des soins, intéresserons-nous aux publications de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) portant sur des indicateurs de l’état de santé des populations des pays européens et leurs dépenses de santé.
La France et L’OCDE
Commençons par les dépenses de santé par rapport au Produit intérieur brut (PIB) de quelques pays européens comparables à la France. Nous avons sélectionné les pays suivants : l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie. Comme l’indique la figure ci-dessus, la France et l’Allemagne sont les deux pays qui dépensent le plus pour la santé par rapport au PIB. Leurs dépenses de santé sont nettement plus élevées que la moyenne de l’ensemble des pays de l’OCDE.
La perception de vivre en bonne santé des populations des pays de l’OCDE est décrite dans la figure ci-dessous. La France ne fait pas partie des pays où les personnes ont la perception la plus élevée de vivre en bonne santé. Dans les pays comme la Belgique, le Danemark, la Norvège, la Suède et la Suisse, le pourcentage des personnes déclarant une perception de vivre en bonne santé est plus important que celui de la France. Cet indicateur consiste à interroger les personnes pour répondre à la question suivante : « Êtes-vous limité(e), depuis au moins six mois, en raison d’un problème de santé, dans vos activités habituelles ? ». Cet indicateur peut paraître subjectif dans l’interprétation de la limitation globale de l’activité, cependant des travaux ont montré qu’il reflétait de manière satisfaisante d’autres mesures de la santé et de l’incapacité.
La France et l’évaluation de la qualité des soins
Avant d’envisager de comparer la France aux autres pays européens, un bref rappel sur les différentes dimensions de la mesure de la qualité des soins est nécessaire en s’appuyant sur les travaux de Donabedian. Elle comprend trois dimensions : l’évaluation des structures, les processus de soins et les résultats. La première dimension s’intéresse à la structure de l’établissement qui comprend le nombre de lits d’hospitalisation, l’existence d’un secteur ambulatoire, la présence de soins intensifs ou de réanimation ou le nombre de procédures pratiquées. La mesure des processus de soins évalue la conformité de la pratique médicale aux recommandations ou l’état de l’art. La dernière dimension concerne les indicateurs de résultats, qui sont peu évalués en France à l’opposé d’autres pays européens qui publient régulièrement les résultats des différentes techniques chirurgicales comme la chirurgie des coronaires, de la prothèse de hanche ou de la chirurgie de l’obésité. Les indicateurs de résultats portent sur la sécurité des soins comme la mortalité ou la survenue de complications aux décours de la chirurgie. L’utilisation des indicateurs de résultats est possible pour les activités de chirurgie ou toutes spécialités médicales qui réalisent des actes interventionnels comme la pose de stents en cardiologie, où l’on peut mesurer la survenue d’une complication ou d’un décès.
Un travail a comparé les résultats de la chirurgie du cancer du poumon en France aux autres pays européens. Ce travail a été pris comme exemple pour la comparaison de la mesure de la qualité en France aux autres pays européens, car il a fait l’objet d’une publication mais nous aurions pu parfaitement utiliser d’autres types d’interventions chirurgicales ou technologies de santé. La mortalité postopératoire fait partie des différents indicateurs de résultats de la chirurgie du cancer du poumon. La figure ci-dessus rapporte les différents taux de décès des pays européens. Cette figure comprend pour chaque pays la moyenne des décès postopératoires représentée par un point et de part et d’autre du point nous avons une ligne qui rapporte la fluctuation de la moyenne. La barre verticale représente la moyenne européenne de la mortalité postopératoire de la chirurgie du cancer du poumon. Les pays comme la Grande-Bretagne et l’Espagne ont un taux de mortalité inférieur à la moyenne européenne. À l’opposé, deux pays comme l’Allemagne et la France ont un taux de mortalité respectivement de 2,9 % et 2,94 % alors que la moyenne européenne est de 2,1 %. Pour ces deux pays, la probabilité que leur taux de décès soit supérieur à la moyenne européenne est de 98 %. Cependant, la figure rapporte une certaine hétérogénéité entre les différents pays européens en matière de résultats de la chirurgie du cancer du poumon. De l’analyse ont été exclues la Grande-Bretagne et l’Espagne, les taux de mortalité de l’Allemagne et de la France demeurent plus élevés que la moyenne européenne (figure ci-dessous).
La revue de la littérature montre un taux de décès à 30 jours plus important en France que les autres pays européens. L’analyse de sensibilité confirme l’excès de mortalité de la France pour la chirurgie du cancer du poumon. Il est difficile de connaître toutes les raisons pour lesquelles la France et l’Allemagne ont un excès de mortalité postopératoire par rapport à d’autres pays européens. Dans ces deux pays, le nombre de centres réalisant des résections pulmonaires pour cancer bronchique est important. En France, 151 centres réalisent des interventions chirurgicales pour cancer du poumon alors qu’au cours de la même période 27 hôpitaux du Royaume-Uni pratiquaient ce type de chirurgie. Nous avons pris deux exemples extrêmes, notre propos n’est pas d’affirmer que le modèle anglais est celui qu’il faut suivre. Cependant, la dispersion de la pratique chirurgicale en France a comme corollaire la faible activité de certaines équipes. Le nombre d’interventions joue un rôle significatif sur la survenue de l’excès de mortalité. Comme nous l’avons vu précédemment, les hôpitaux du Royaume-Uni qui pratiquent la chirurgie thoracique ont un volume d’interventions en moyenne plus important que les centres français. D’autres raisons pourraient être évoquées, certains pays européens sont impliqués dans des programmes de suivi des indicateurs de résultats, comme la mortalité postopératoire. Les équipes chirurgicales qui participent à ce type de programme sont informées de manière régulière sur leur niveau de performance et peuvent ainsi mettre en place des mesures d’amélioration de leurs résultats. En France, ce type de programme n’existe pas pour le moment, les établissements sont soumis à l’obligation de certification délivrée par la Haute Autorité de santé. Ce programme s’intéresse principalement aux indicateurs des structures et de processus. D’autres actions sont proposées aux praticiens pour améliorer leur pratique au quotidien, nous citerons l’accréditation pour les spécialités chirurgicales. Pour valider leur accréditation, le praticien devra déclarer des événements porteurs de risque pour le patient et montrer les actions qu’il a mises en place pour les prévenir. Cette démarche est louable, mais elle ne concerne que des actions ponctuelles et à aucun moment une évaluation globale de sa pratique. Une autre mesure est le développement professionnel continu qui est une obligation pour les praticiens. Cette obligation demande aux praticiens de suivre des formations continues et d’évaluer leur pratique. Le développement professionnel continu est géré par une structure administrative qui a complexifié le fonctionnement. Le patient a totalement disparu de cet univers où les praticiens s’inscrivent pour satisfaire à cette obligation réglementaire comme ils le feraient pour leur déclaration d’impôt.
Au détour de cet exemple et de la comparaison avec d’autres pays, les travaux de l’OCDE on constate que la France est un pays qui investit beaucoup d’argent dans la santé mais ses résultats en matière de qualité sont moins bons que certains pays européens. Ce travail modeste devrait nous inciter à aller plus loin dans la démarche qualité en proposant aux équipes médicales de s’interroger régulièrement sur les résultats de leurs pratiques. Cette approche est de promouvoir l’amélioration continue des indicateurs de résultats, dont le but ultime est la qualité des soins dans l’intérêt des patients. D’autant que la méthodologie est connue et les outils sont disponibles. La volonté politique serait de pouvoir convaincre les professionnels de santé à s’inscrire dans cette démarche d’amélioration de la qualité des soins. L’autre sujet concerne la dispersion des plateaux techniques pour pratiquer des interventions chirurgicales complexes qui est un sujet que l’on n’ose pas aborder en France à la différence d’autres pays qui ont su regrouper les plateaux techniques pour tenir compte des besoins de la population. Des plateaux techniques à haut volume permettent de rendre plus attractives ces structures aux praticiens. Des pays comme la Hollande ont mis en place une centralisation des chirurgies complexes dans des hôpitaux sélectionnés, afin de regrouper les compétences techniques nécessaires à l’amélioration de la qualité des soins. L’idée semble séduisante, surtout si l’on veut pouvoir mesurer de manière fiable les performances des hôpitaux.
En conclusion, pour prodiguer des soins de qualité aux patients, l’augmentation des dépenses de santé n’est pas la seule piste à envisager. L’évaluation en continu des résultats par les équipes médicales associées à la réorganisation des plateaux techniques sont des pistes d’amélioration significatives de la qualité des soins. La qualité concerne les soins qui « maximisent, le bien-être des patients après avoir pris en compte le rapport bénéfice/risque à chaque étape du processus de soins ». Cette approche devrait interroger non seulement les professionnels de santé mais également les décideurs.