Dr Nathalie Salomé
PCME au CH d’Esquirol-Limoges
Organisation des soins par le Centre hospitalier Esquirol de Limoges au-delà des barrières du secteur
La loi du 31 décembre 1970 a défini les bases de la sectorisation en psychiatrie. Sa mise en place est considérée comme une véritable révolution en regard de l’asile du XIXe siècle, fondé sur un principe hospitalocentriste. La politique de psychiatrie de secteur permet ainsi de développer la prise en charge « hors les murs » de la santé mentale. Elle est basée sur une organisation géographique des soins, tenant compte de la démographie.
On ne peut qu’admettre l’apport indéniable de cette réforme pour organiser au plus près de la population des soins ambulatoires de qualité, avec notamment la mise en place de structures telles que les Centres médico-psychologiques. Le virage ambulatoire ne fait que renforcer leur rôle clé.
Cependant, ce cadre de sectorisation a pu aussi s’avérer rigide et n’est pas sans inconvénient. Qui n’a pas connu ces problèmes d’orientation de patients vers un service ou un autre pour des raisons de lieu d’habitation (parfois même parce que le patient habitait du côté pair de la rue et non du côté impair) ? Combien de patients se sont trouvés en difficulté après un déménagement y compris dans la même ville parce que le fonctionnement en secteurs les obligeait à changer d’équipe de soins ? Et combien de ruptures de soins en ont découlé ?
Avec la sectorisation, chaque secteur s’est organisé pour recevoir tout type de pathologie avec le risque de dilution des moyens, de multiplication de structures identiques ou d’hétérogénéité dans l’accueil des patients en hospitalisation.
En outre, on sait aussi que certaines pathologies requièrent des prises en charge spécialisées qui nécessitent une concentration des moyens. Pour un accès à tous de ces soins spécialisés, se sont mises en place des structures « intersectorielles ».
Comme dans beaucoup d’autres hôpitaux, c’est ce que nous avons commencé par faire au Centre hospitalier Esquirol de Limoges avec notamment une prise en charge intersectorielle de la Psychiatrie de la personne âgée dans un premier temps.
Mais il y a plus de dix ans déjà, nous avons fait le choix d’aller encore plus loin.
En effet, nous avons totalement réorganisé notre offre de soins. Et celle-ci ne se fonde plus du tout sur le découpage géographique, mais se définit par la notion de parcours de soins du patient.
De manière globale, les soins intra ou extra-hospitaliers s’organisent autour de trois départements : Hospitalisation, Réhabilitation et Ambulatoire au sein desquels se définissent des parcours tels que celui des troubles de l’humeur et des émotions, celui des troubles psychotiques ou des troubles addictifs.
Nous y avons vu plusieurs avantages :
En hospitalisation, cette organisation permet une prise en charge de groupes homogènes de patients favorisant des soins adaptés et spécifiques par des équipes soignantes qui deviennent expertes dans leur domaine.
Il existe une plus grande harmonisation des pratiques qui fait qu’un même patient peut être éventuellement hospitalisé dans des unités différentes au sein d’un même parcours sans difficulté particulière. D’où une plus grande souplesse.
Selon le stade de sa maladie et son évolution, le patient va donc être pris en charge par une équipe différente, certes, mais qui s’est spécialisée. Bien évidemment, ce changement doit se préparer.
Cette tendance à l’hyperspécialisation au sein du parcours psychiatrique peut aussi avoir ses travers. Il faut être attentif à ne pas trop rigidifier les parcours. On sait bien que les patients peuvent avoir des comorbidités ou des pathologies qui évoluent. On peut aussi avoir besoin d’un temps d’évaluation avant de définir le parcours « idéal » pour un patient. Cela nécessite une forte concertation.
Actuellement, nous travaillons pour essayer de fluidifier le parcours de nos patients, pour favoriser autant que faire se peut la continuité des soins. Cela passe, par exemple, par des staffs de parcours ou de département.
Mais il est très important aussi de comprendre que cet abandon de la sectorisation ne veut pas dire abandon des soins de proximité.
Les soins « hors les murs » s’organisent autour de Centres de proximité en santé mentale répartis en fonction des bassins de population au sein du département de la Haute-Vienne.
Là encore, nous savons que les besoins de la population ne peuvent pas suivre parfaitement le découpage de notre département. Le phénomène de désertification médicale accentue encore ce fait. Mais, quel que soit son lieu d’habitation, la population doit pouvoir avoir accès à des soins de proximité y compris dans un milieu rural. Elle doit pouvoir aussi se référer à des soins d’expertise si nécessaire. Les moyens matériels et humains ne peuvent pas non plus se multiplier.
Cela nécessite donc d’être inventif au-delà de son département. C’est le cas, par exemple, avec la création de services interétablissements entre le Centre hospitalier Esquirol et le Centre hospitalier de La Valette de Saint-Vaury en Creuse. C’est le cas aussi, avec une collaboration étroite entre notre établissement et l’hôpital d’Angoulême, pour des consultations en Haute-Vienne de patients charentais.
Et il est peut-être temps de réfléchir à une répartition des structures de proximité selon les bassins de population et non plus en fonction des frontières départementales.
Dix ans d’expérience dans cette organisation « désectorisée » nous confortent dans cette voie. Nous y voyons un moyen de répondre au mieux aux besoins des patients dans une logique de parcours de soins. Dans un contexte de pénurie médicale, c’est aussi une voie de mutualisation. Et aussi probablement d’attractivité pour les jeunes praticiens.