Tribune

« Le système doit être réinventé pour limiter l’intervention de l’État et redonner leur place aux partenaires sociaux »

Michel Monier
Ancien Directeur général adjoint de l’Unédic et membre du think tank CRAPS

Depuis 2017, l’indemnisation du chômage a perdu son caractère assuranciel pour devenir régime de solidarité qui ne dit pas, pas encore, son nom. Depuis, les réformes paramétriques qui se succèdent, par ordonnance, ne sont qu’un chiffon qu’on agite pour masquer le changement de nature qui n’est autre que l’étatisation du système.

La prochaine réforme, qui s’annonce avec l’objectif d’économies incitatives à la reprise d’emploi, installe en fait une taxe sur le coût du travail.

Le choix politique est fait de restreindre les conditions d’accès à l’indemnisation et sa durée. Quand le coût du travail reste un frein à l’emploi, une politique publique vraiment incitative à l’emploi n’aurait-elle pas choisi de diminuer le niveau de la contribution des employeurs ? Quand le pouvoir d’achat reste un sujet qui alimente les partis politiques extrêmes, une politique publique soucieuse de donner corps au « Plan Marshall pour les classes moyennes », qui était annoncé par l’actuel Premier ministre alors ministre délégué aux Comptes publics, ne fallait-il pas opter pour une diminution de la CSG-activité ? Faut-il croire que ces options n’ont pas été étudiées ? Non, mais il ne s’agit pas, avec cette nouvelle réforme, de lutter contre le chômage en incitant les demandeurs d’emploi à accélérer leur retour à l’emploi. Il s’agit de faire des économies de façade en débudgétisant de la dépense publique et en dégradant les comptes de l’Unédic1 : le financement d’une politique publique et de l’établissement public France Travail se fait par captation de la ressource de l’Unédic2. C’est de fait une taxe sur l’emploi.

La vraie réforme de l’indemnisation du chômage c’est, aujourd’hui, de renverser la table, c’est refuser l’étatisation d’un système qui sert, avant tout, à s’accommoder des principes des Finances publiques. C’est aux partenaires sociaux qu’il appartient de renverser cette table !

Au point de démontage du système assuranciel où nous sommes, le système doit être réinventé pour limiter l’intervention de l’État et redonner leur place aux partenaires sociaux, la même que celle qu’ils ont encore, et qu’ils défendent, dans le système des retraites complémentaires. C’est un système avec un niveau de base, relevant de la solidarité, et un niveau complémentaire, relevant d’une assurance professionnelle, qu’il faut réinventer.

Le contexte politique et social n’est plus celui du 1er août 1958, quand le Général de Gaulle invitait les partenaires sociaux à créer un dispositif d’assurance contre la perte d’emploi dont la gestion leur serait confiée. Alors, une telle architecture à deux niveaux est-elle réaliste ?

Le premier obstacle est évident : l’État ne poursuit qu’un but : étatiser. Le ministre de l’Économie ne déclarait-il pas, il y a peu, que l’État devait reprendre la main, que les chômeurs étaient le problème de l’État et les salariés celui des partenaires sociaux ? Alors, aux partenaires sociaux de prendre au mot le ministre de l’économie : oui, les salariés sont du domaine des partenaires sociaux, et oui, les assurances sociales résultant d’un contrat de travail sont du domaine de la négociation contractuelle, l’État n’a que trop à faire avec la solidarité, qui le distrait du domaine souverain. La gestion paritaire, responsable, peut réinvestir le champ de l’assurance des risques professionnels.

Le deuxième obstacle est chez les partenaires sociaux : veulent-ils éviter la complète étatisation du système, sont-ils à même de s’entendre aujourd’hui ? L’accord entre les représentants des salariés et ceux des employeurs pour sortir du socialisme de bureaux que percevait Hayek est-il possible ? S’il ne l’est pas, les employeurs, contributeurs aujourd’hui à l’indemnisation du chômage et soumis à une taxe finançant une politique publique dont les effets sont peu visibles, peuvent-ils dire, seuls, que le pacte est rompu ?

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Sources :
1. Bruno Coquet, « Assurance chômage : une inépuisable source de taxation pour l’État« , Alternatives Économiques, avril 2024.
2. Michel Monier, « Assurance chômage et carambouille budgétaire (à quoi sert l’Unédic ?« , Revue Politique et Parlementaire, août 2023.