Tribune

Soyons prêts à rebondir dans le monde de l’après-crise qui nous aura assurément transformé.

PAR SOPHIE ALBERT-SUTTERLITI
Directrice Générale de l’Etablissement Public de Santé de Ville-Evrard

Le moins que l’on puisse dire c’est que la résilience est d’actualité. Vu dans la presse, « Covid-19. La résilience au menu des secteurs du loisir, tourisme et restauration » (Ouest-France), « Covid-19 : la surprenante résilience des entreprises centrafricaines » (Jeune Afrique), « Covid : la résilience, nouveau mot d’ordre des dirigeants d’entreprise » (Les Échos), « Coronavirus et résilience : entre rêve et réalité » (Mediapart), « Covid-19 : renforçons notre résilience » (mensuel des équipes soignantes en psychiatrie).

Au plan politique, le gouvernement français pour mobiliser les forces autour de la lutte contre le virus a évoqué : « L’opération Résilience centrée sur l’aide et le soutien aux populations ainsi que sur l’appui aux services publics pour faire face à l’épidémie de Covid-19 » L’un des objectifs de la présidence portugaise du Conseil de l’Union européenne est de « promouvoir la résilience de l’Europe ».

Quelle définition peut-on en donner ? La résilience désigne originellement la résistance d’un matériau aux chocs ; (le « fait de rebondir », du latin resilientia, de resiliens), définition ensuite étendue à la capacité d’un corps, d’un organisme, d’une espèce, d’un système, d’une structure à surmonter une altération de son environnement et enfin au capacité de l’homme, d’un collectif voire d’une Nation à faire face au traumatisme.

Popularisé en France par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, la résilience est le mécanisme psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un traumatisme, à prendre acte de l’événement traumatique et à se reconstruire d’une façon socialement acceptable à l’image du kintsugi, art traditionnel japonais qui consiste à réparer un objet cassé en soulignant ses cicatrices avec de l’or plutôt que de les cacher.

Mais la notion de résilience n’a-t-elle pas été galvaudée ?

Le psychiatre Serge Tisseron invite à se montrer prudent face à l’« extraordinaire engouement que connaît la France pour ce concept ». Il met ainsi en garde, contre l’abus de langage qui consiste à étiqueter sous la houlette de résilience, tout comportement ou réaction adaptative sans distinction aucune.

Ne peut-elle devenir discriminante ? L’épreuve doit rendre fort et nous pouvons, voire nous devons tous nous en sortir. Cela sous entendrait que ceux qui n’y arrivent pas seraient entachés d’inaptitude. Double peine pour eux, un traumatisme et une incapacité à mobiliser les ressources à le surmonter, honte à eux !

Pour autant la crise Covid que nous traversons est un tel choc qu’elle interroge sur le principe de la résilience tant individuelle que collective.

En quoi est-elle traumatisante ?

1. Sa brutalité : nous sommes passés d’une épidémie lointaine début février 2020 à un confinement total mi-mars 2020.

2. L’ignorance dans laquelle elle nous a plongés :

D’une grippette à la peur d’un fléau hautement mortel, nous entendions tous les avis. Les enfants étaient-ils des vecteurs de la contagion tout d’abord oui puis non et voilà qu’avec le variant anglais on ne sait plus vraiment.

Aux médecins démunis de traitements qui se sont déchirés en instaurant le doute et la méfiance. Le débat sur l’hydroxychloroquine a pris une telle ampleur que nous avons frôlé un schisme dans la société digne de l’affaire Dreyfus.

3. La peur face aux chiffres implacables :

Le décompte des morts, certes âgés mais pas seulement, est à ce jour en France de l’ordre de 70 000. Pour mémoire, la canicule de 2003 a fait 19 500 victimes, le nombre de victimes des accidents de la route est de l’ordre de 2 550 en 2020. Et pour en finir avec les chiffres, l’INSEE vient de publier la surmortalité entre 2019 et 2020, elle est de +9 % soit près de 54 000 décès supplémentaires…

4. Le sentiment d’impuissance face à une pandémie difficile à contrôler tant dans sa durée que ses impacts sanitaires, économiques ou sociaux.

Alors oui nous pouvons parler de traumatisme face à la violence inédite de cette crise qui a réveillé des angoisses de mort, nous a confrontés à la peur d’être soi-même un danger pour ceux que l’on aime, à la peur dans l’avenir, à l’isolement et nous laisse dans un climat d’incertitude.

Les conséquences sur l’état de santé mentale sont d’ailleurs inquiétantes. À la mi-novembre 2020, la dépression touchait presque 21 % de la population, deux fois plus que fin septembre selon l’enquête nationale CoviPrev (étude santé publique France) qui suit l’évolution de l’état psychologique de la population à partir d’un échantillon de 2 000 personnes de plus de 18 ans. La proportion atteint même des sommets parmi les plus fragilisés par la crise sanitaire, à cause d’une situation financière difficile (35 %), de la promiscuité (26 %), de l’inactivité (25 %) ou d’antécédents de troubles psychologiques (30 %).

Sans parler des problèmes d’addiction et de la recrudescence des violences intrafamiliales. Le rapport publié fin juillet 2020 montre que non seulement les interventions des forces de l’ordre à domicile pour tout type de violences ont augmenté de 42 % pendant le confinement par rapport à 2019, mais qu’elles étaient toujours en hausse de 20 % après le déconfinement. Les derniers chiffres montrent que la recrudescence des violences est encore plus marquée. La plateforme « arretonslesviolences.gouv.fr » avait enregistré une hausse de 60 % de signalements de violences conjugales pendant le second confinement.

Certes la parole se libère et induit peut-être plus d’appels au secours mais l’augmentation est si grande qu’elle reste alarmante.

Dans le département de la Seine St Denis particulièrement défavorisé la surmortalité entre 2019 et 2020 est de plus 20 % alors que la population du 93 est la plus jeune d’IDF, le taux de consommation d’antidépresseurs et d’anxiolytiques a bondi de 45 % entre novembre 2019 et 2020 selon les chiffres de la CPAM.

Revenons à la résilience. Boris Cyrulnik estime que nous devons mobiliser certains mécanismes pour mieux rebondir. Selon lui, il convient de développer ses capacités à :

• L’analyse et la conceptualisation ;
• Être autonome et efficace dans nos rapports à l’environnement ;
• Avoir le sentiment de notre propre valeur ;
• Avoir de bonnes capacités d’adaptation relationnelles et d’empathie ;
• Être capable d’anticiper et de planifier ;
• Avoir le sens de l’humour.

Si l’on transpose ces critères à cette crise, certains sont bousculés en particulier celui d’anticiper et de planifier. Il est facile de critiquer les changements de cap des décisions politiques mais soyons honnêtes, savons-nous, au périmètre de nos propres vies, planifier et anticiper dans ce climat d’incertitude absolue ?

La notion d’autonomie et d’efficacité dans nos rapports à l’environnement est, elle aussi, limitée. Pourtant pour mieux résister, il nous faut développer au mieux notre capacité d’adaptation, notre espace de liberté, d’autonomie et notre marge de créativité pour rester acteur de nos vies. Sans cette marge d’autonomie comment garder une bonne estime de soi et le sentiment de sa propre valeur ? Car perdre la confiance en soi, en sa capacité d’avoir prise sur son environnement et sa vie ne peuvent mener qu’à l’angoisse, la colère, la violence, à l’attente d’une solution externe ou au désespoir d’un impossible avenir.

Développer ses capacités de résilience nous dit Cyrulnik c’est faire l’effort de l’analyse et de la conceptualisation. Il est de notre devoir de nous forger notre propre opinion, notre vérité et de comprendre avec recul et libre arbitre. Pas facile dans ce flot continuel d’informations, de discours politiques plus ou moins manipulateurs, de théories complotistes de garder cette hygiène de l’esprit exigeante.

Développer nos capacités de résilience c’est aussi avoir de bonnes capacités d’adaptation relationnelles et d’empathie. Cette crise divise, nous oppose. Il y a ceux qui peuvent travailler et les autres, ceux qui ne sont pas de bons citoyens et qui transgressent les règles. Pour ceux-là, ce sont ceux qui respectent les règles qui sont des moutons. Bref, rester toujours dans l’empathie demande une certaine discipline. Cela ne veut pas dire que l’on doit tout accepter de l’autre. Mais il faut avoir la vigilance de ne pas adhérer ou attiser les clivages, les colères qui pourraient déstabiliser le fragile équilibre de la cohésion sociale.

Enfin n’oublions pas que Cyrulnik en appelle aussi à notre sens de l’humour. Si l’humour est la « politesse du désespoir » il ne saurait être que cela. Il peut être également un simple instinct d’autodéfense là où des forces hostiles sont à l’œuvre. L’humour est sans conteste une impulsion créatrice qui fait se lever des perspectives nouvelles, un pont de fraternité. Sans compter que le rire est un excellent médicament : il permettrait d’évacuer le stress, de réduire la tension artérielle, de renforcer le système immunitaire, de réduire la douleur, de positiver… mes sources ne relèvent pas d’une grande revue scientifique mais ce remède ne me semble pas avoir de contre-indication : ne nous en privons pas.

Alors que nous rentrions en résilience ou pas, pourquoi ne pas essayer de garder notre libre arbitre, notre agilité à développer nos propres marges d’adaptation et de construire nos espaces de liberté intérieure. Attendons la sortie du tunnel en préservant précieusement notre aptitude à la légèreté, au rire et à la bonne humeur. Soyons prêts à rebondir dans le monde de l’après-crise qui nous aura assurément transformé.