Note de lecture
12€ aux éditions du Croquant
Par Anaïs Fossier, Responsable des études au CRAPS
Notre système de santé et particulièrement de soins, malgré une augmentation significative du nombre de personnes atteintes de maladies chroniques et d’incapacités fonctionnelles a contribué à l’amélioration de l’état de la santé de la population comme le montrent l’allongement de l’espérance de vie et le net recul de la mortalité, notamment infantile. Des progrès ont certes été accomplis mais l’ensemble de la population n’en profite pas de façon équitable puisque notre pays reste marqué par d’importantes inégalités face à la santé.
Loin de se réduire, ces inégalités se creusent dès le plus jeune âge et persistent tout au long de l’existence. Elles sont sociales, territoriales, économiques, environnementales et concernent également le genre. On constate par exemple que « l’espérance de vie à la naissance des femmes est supérieure de 6 ans à celle des hommes ». Ces inégalités – pour la plupart – ne sont donc ni justes, ni biologiques et découlent in fine des conditions dans lesquelles les personnes « naissent, grandissent, sont éduquées, vivent, travaillent et vieillissent ».
Comprendre l’impact des « facteurs sociaux et des déterminants de santé » sur les trajectoires de vie et les comportements implique par conséquent de prendre en compte des facteurs d’inégalités éminemment complexes résultants de causalités combinées pour mieux prendre en charge la santé de l’ensemble de la population et proposer des actions de soins mais aussi de prévention et d’education adaptées en fonction des spécificités culturelles, sociales et économiques des populations.
Le niveau de santé de la population dépend en effet de nombreuses composantes telles que « l’éducation, les revenus, l’activité professionnelle, le genre, l’insertion socio-économiques » ou encore « des conditions d’habitation, de comportements potentiellement délétères pour la santé tels que la consommation de tabac et d’alcool, de l’accès aux services de santé… » rappellent les auteurs de l’ouvrage, Nicolas Leblanc et Alfred Spira, qui constatent par ailleurs que le niveau de revenus de l’ensemble de la population détermine en partie l’ampleur des inégalités de morbidité et de mortalité.
Concrètement, les personnes les plus avantagées face à la santé sont en général « plus diplômées, exercent des activités professionnelles moins délétères et ont plus souvent recours aux services de santé ». Elles bénéficient donc d’une combinaison de déterminants de santé plus favorables. À l’inverse, les moins instruites occupant des emplois délétères cumulent généralement plusieurs facteurs de risques et ont des comportements moins favorables à la santé en termes de prévention, de nutrition ou encore d’activité physique.
Ces personnes rapportent ainsi une moins bonne santé générale, plus de maladies chroniques et une espérance de vie plus courte comme en témoignent les treize années d’espérance de vie à la naissance parmi les hommes qui séparent « les 5 % les plus pauvres qui vivent en moyenne avec 470 euros mensuels pour une personne et les 5 % les plus riches qui disposent de 5 800 euros ou plus par mois1 ».
De manière générale, « dans la hiérarchie sociale le sous groupe inférieur est toujours en plus mauvaise santé que le sous groupe supérieur où que l’on se situe sur l’échelle sociale » déplorent les auteurs qui insistent au regard de ce constat, sur le rôle crucial de l’éducation pour réduire les inégalités puisque la majorité des données de santé sont fortement influencées par l’éducation. Si des efforts ont été faits en la matière, force est de constater cependant que l’institution scolaire « a de plus en plus de difficultés à jouer un rôle d’amortisseur social à même de réduire la perte de chance en termes de santé ». Une problématique de taille lorsque nous savons que l’enfance est une période charnière où se jouent les chances d’être en bonne santé le plus longtemps possible et tout au long de sa vie…
Enrayer les inégalités dès le plus jeune âge implique alors que la prévention fasse urgemment l’objet d’un véritable changement de paradigme afin d’être considérée comme un élément central de nos politiques de santé, encore trop axées sur le curatif aujourd’hui comme en attestent les plus de « 200 milliards d’euros consacrés à soigner chaque année en France alors que la prévention institutionnelle n’est dotée d’à peine plus de 6 milliards par an ». Une telle approche ne prenant pas la mesure des déterminants de santé se traduira inévitablement pas une moindre efficacité sur l’augmentation de l’espérance de vie sans incapacité ou sur la réduction de la mortalité prématurée de façon égale pour l’ensemble de la population.
Plus globalement, face à la diversité des facteurs qui déterminent ces inégalités, les auteurs soulignent la nécessité d’intervenir à travers une « approche intersectorielle » et appellent ainsi de leurs voeux « des politiques protectrices qui dépassent largement le cadre des seules politiques de santé » à l’instar par exemple de réformes économiques de redistribution fiscale, de politiques de revenus et de protection sociale.
Alors que le fossé entre les plus riches et les plus pauvres se creuse toujours davantage, ces politiques doivent, pour des raisons d’équité, être d’un « universalisme proportionné » pour apporter « un peu à tout le monde mais plus à ceux qui en ont le moins » et permettre aux plus défavorisés de rattraper les catégories les plus favorisées. Si l’ensemble de la population doit pouvoir accéder aux programmes de prévention et de soins, une plus grande attention doit toutefois être apportée à ceux qui en ont le plus besoin si nous voulons voir les inégalités face à la santé se réduire.
Inégalités par ailleurs fortement exacerbées par la crise sanitaire avec des différences majeures de mortalité selon les territoires. À l’heure où la crise sévit toujours et que le besoin de justice sociale est criant, la montée des inégalités appelle un changement de braquet, condition « sine qua non pour entrevoir l’homogénéité des espérances de vie, autrement dit pour faire en sorte que la vie ne soit pas une course d’obstacles pour certains et une promenade de santé pour d’autres » et pour le maintien de la paix sociale. Un renversement de perspective qui nécessite pour les auteurs « une approche à l’échelle de la planète, de l’Europe et la France et enfin localement ».
Si tel n’est pas le cas, les épidémies futures et les problématiques liées au changement climatique frapperont violemment les plus vulnérables et les inégalités sociales de santé ne cesseront de croître, avec le risque que les désordres sociaux se multiplient. Il est alors indispensable et urgent qu’une politique de réduction des inégalités sociales « ambitieuse et cohérente » soit mise en oeuvre.
Une politique qui repose selon les auteurs à la fois sur « des choix éminemment politiques et sur la mise en oeuvre d’outils de suivi et de mesures, de stratégies et d’actions qui doivent obligatoirement perdurer suffisamment longtemps pour être éventuellement efficaces ». Stratégies qui pour obtenir des effets concrets devront en outre « résulter de choix collectifs, donc d’une véritable délibération démocratique associant toutes les composantes de la société » et singulièrement des « citoyens, véritables acteurs et bénéficiaires potentiels des actions engagées ».
Espérons alors que la question des inégalités en santé occupera une place de premier plan dans l’agenda politique et que nous saurons collectivement tirer les enseignements de la crise sanitaire et sociale qui nous oblige à repenser notre civilisation, à repenser notre conception de la justice sociale. Ne pas l’envisager ferait peser sur notre pacte social une grande menace et notre fonctionnement démocratique serait quant à lui « pris en tenaille entre la montée des populismes et les tentations autoritaires » alertent Alfred Spira et Nicolas Leblanc convaincus que « la prise de conscience constitue indéniablement le premier pas vers l’action » !
1 Insee : période 2012-2016