Hervé Chapron
Membre du Comité Directeur du CRAPS, ancien Directeur Général Adjoint de Pôle Emploi
La France est constituée de plus de morts que de vivants.
Maurice Barrès
Etait-ce encore un Etat ? Bien sûr les frontières étaient toujours reconnues. Bien sûr l’impôt était encore levé et la justice toujours rendue au nom de son peuple. Certes à petite vitesse. La question était pour autant pertinente. Jamais depuis que l’Homme était apparu sur cette terre, l’Humanité n’avait connu un tel choc. Aucun expert, aucun spécialiste, aucun conjoncturiste n’avait prévu cette accélération du phénomène. L’élite du pays, de celui qui avait apporté la liberté au monde, celle qui avait tant palabré sur les chaines d’information en continu sur les bienfaits de la robotisation et plus encore sur l’intelligence artificielle restait pour la première fois muette…
C’était désormais un pays dont la population active était inactive ou plus exactement tellement amorphe, en état permanent de léthargie dont la rare énergie était consacrée à ce qui pouvait apparaître comme une opération de survie, celle de respirer, dont la population âgée n’était plus qu’une accumulation d’individus décharnés à la peau plissée et qui d’une voix rauque réclamait obsessionnellement mais en vain une simple gorgée d’eau. Quant à la jeunesse, ayant délaissé depuis longtemps le système éducatif, elle s’épanouissait dans de petits trafics pour négocier à prix d’or gadgets et autres produits inefficaces – climatiseurs solaires portatifs, androïd arroseurs – à des gogos transpirant à grosses gouttes, immobiles, affalés sur un canapé ne pouvant plus absorber leur sueur dégoulinante…
Depuis plusieurs quinquennats, le thermomètre montait sans jamais redescendre. On en regrettait les canicules de 2003, de 2019 ! C’était devenu non pas un état permanent de canicule mais bien un phénomène inédit qui avait gommé le jour et la nuit, les saisons, transformant les vignobles en palmeraies… Certaines villes historiquement pluvieuses, aux cieux nuageux, à la grisaille permanente renaissaient en stations balnéaires désormais recherchées par des bobos nomades vêtus de la tête aux pieds de coton d’Egypte, remplaçant l’irrespirable Marrakech, la suffocante Ibiza !
Les Pouvoirs publics ne pouvaient rester sans réaction. On aurait pu dire que la révolte grondait quand bien même il manquait à chacun l’énergie nécessaire à pareille action. Depuis des années, les discours se succédaient toujours aussi insipides, toujours aussi anesthésiants, faisant état de rapports commandés en urgence auprès d’organismes gouvernementaux à la botte et quelquefois de Think tanks bienveillants. La révolution climatique, car il s’agissait bien d’une révolution, était parce qu’inédite, passagère pour ce gouvernement qui à chaque degré Celsius supplémentaire enregistré, voyait sa côte d’amour dégringoler d’autant et souvent de bien plus. Vécu par la population comme une provocation, le E de CESE avait été supprimé en catimini. D’aucuns avaient suggéré le CESC, C pour climatique mais le Premier ministre sortant de sa torpeur habituelle avait fait part de ses craintes de voir naître une polémique sur un sujet… inflammable !
Tous des incapables. Tous gavés de leurs petits privilèges. Ils s’épanouissaient dans leur médiocrité consternante. Le Président de la République aurait aimé que les membres de son gouvernement fussent simplement des créatifs, c’est-à-dire intellectuellement éloignés de l’école administrative de la pensée unique ! Ils n’étaient à ses yeux que le reflet du énième « ancien monde », appellation pratique, couramment utilisée en campagne électorale pour montrer aux électeurs que la modernité, en elle-même, était gage de progrès, incarnée exclusivement par chaque candidat.
Issu de ce qui restait de la classe moyenne, le Président était un homme énergique, le seul à croire que la situation était irréversible. Pestant quotidiennement contre ses prédécesseurs, les traitant régulièrement et quelquefois publiquement de rois fainéants tant pour leur inaction que pour leur incapacité à prévoir, il avait été formé aux plus grandes écoles de la République, parlant sans difficulté cinq langues. Les médias se gaussaient en relatant que son passe-temps favori était de lire en sanscrit dans le texte les rares documents datant de la période ! Etre d’exception, marginal comme le sont souvent les surdoués, quelquefois fantasque, il avait fait de son quinquennat celui non pas du vivre mieux, de la fraternité enchantée ou autres fadaises mais du vivre radicalement autrement. Vivre drastiquement différemment. A la révolution climatique, il souhaitait impulser une révolution comportementale, sociologique et plus encore civilisationnelle. Pire, par une rupture brutale des cultures et des habitudes, par un abandon de l’art de vivre à la française, par une négation de notre histoire sociale, il entendait créer une nouvelle civilisation, transformer cette révolution climatique en fait générateur non pas d’un nouveau monde, concept dont il ricanait régulièrement dans ses rares moments de détente, mais bien d’une nouvelle civilisation… Dans ses rêves les plus fous, il se prenait pour le nouveau Nabuchodonosor. Ses jardins suspendus à lui seraient ni plus ni moins que la mise en oeuvre de nouvelles tables, d’une législation du travail devant le faire entrer dans l’Histoire au niveau des plus illustres.
En ce 1er Décembre 2030, à l’issue du Conseil des ministres, réunion des plus soporifiques, le thermomètre affiche les 49°. Il n’était que 7 heures du matin. Le Président de la République, chemise en lin, bermuda sobre et tongs assortis, a réuni dans la salle des fêtes de l’Elysée aux lourdes tentures, corps constitués et médias pour sa troisième conférence de presse. Après les quelques mots d’usage pour accueillir le gratin de la République, il s’élança pour un monologue de plus de sept heures… A l’issue de l’exercice, les rangs étaient particulièrement clairsemés, alors que les jours précédents, c’était la course effrénée pour obtenir la précieuse habilitation. Il n’y eu aucune question, ce qui conforta le Président sur à la fois sa clairvoyance et la pertinence des mesures décidées et communiquées à travers cet exercice dont on aurait dit qu’il avait été inventé pour lui tellement il en possédait les codes.
En fin d’après-midi, température oblige, les ressortissants de Pôle emploi refroidis par l’état du marché du travail, sur la base du volontariat, se voyaient confier la distribution d’un communiqué papier de la Présidence, – moyen choisi très régulièrement pour économiser internet trop destructeur de la couche d’ozone – à la population synthétisant les mesures à effets immédiats que le Président prenait sous forme d’ordonnances. Pour cette mission, sans amputer leur indemnisation, ils bénéficiaient à titre gratuit d’une journée de salle d’attente dans l’établissement public d’Etat dont les locaux après leur très longue grève de 2021 concrétisée par le refus de s’actualiser, avaient été rapidement climatisés.
Il convient de reproduire intégralement ce communiqué qui, on le constatera très facilement, ridiculise les velléités d’un autre âge, style COP 21 dont l’efficacité avait été celle du mousqueton face à un char nord coréen !
« Mes chers compatriotes,
Dans un autre temps, dans un autre monde, la Patrie serait déclarée en danger. Pour la première fois de notre Histoire, l’ennemi n’est pas l’Autre. L’Autre n’est pas notre ennemi mais il ne sera pas pour autant notre salut. L’énergie qu’il va nous falloir pour écrire un nouveau paragraphe sur la page éternellement blanche de l’Histoire est indicible. C’est à un autre Valmy, à un autre Verdun de nature bien différente auquel nous sommes désormais confrontés. Il ne s’agit plus d’apporter la Liberté au monde, de défendre nos frontières. Il s’agit de revenir aux fondamentaux, de récréer la possibilité de vivre sur cette planète. L’inaction politique de mes prédécesseurs, leurs indigentes réflexions, leurs abdications morale et intellectuelle, leur croyance stupide en des réunions internationales plus propices à déployer un faste incongru que de trouver les solutions ad hoc ont autorisé cette révolution climatique. Voilà déjà bien longtemps, à contre courant de ce qui était dit, de ce qui s’écrivait, j’ai d’abord attiré votre attention sur le phénomène naissant qui guettait, tel un fauve repu, en demi-sommeil, notre quotidien, nos habitudes, notre art de vivre pour mieux détruire ce que, de génération après génération, nous avons construit à travers embûches, obstacles et autres fléaux. Devant le refus collectif d’une salutaire prise de conscience, j’ai sillonné notre pays tel un moine gyrovague pour être au plus près de vous, délivrer un message d’urgence, celui du bon sens. Rien n’y a fait. Alors, contre toute attente, à la surprise des médias, je me suis présenté à vos suffrages et à travers un sursaut, cosubstantiel au génie de notre nation, vous m’avez franchement et massivement demandé de prendre en charge votre survie.
A situation exceptionnelle, remèdes exceptionnels. En vertu de l’article 16 de notre constitution, je m’attribue à cet instant même et pour une période illimitée les pleins pouvoirs sans lesquels toute action ferait, comme aimait à le dire un de mes prédécesseurs, pschitt !
Je destitue immédiatement et sans ménagement l’actuel gouvernement dont l’inutilité est patente. Aucune indemnisation au titre de cette rupture de contrat de travail ne lui sera versée ! Je le remplace par ce bijou de la technologie, fruit du travail acharné de notre R & D. En effet, je suis en mesure de vous annoncer que notre système d’intelligence artificielle que j’ai décidé de nommer « Robespierre » – l’intelligence artificielle est incorruptible, objective donc raisonnable – est en état de fonctionnement « fluide ». Les différents bugs survenus ces derniers temps ont été gommés et son opérationnalité est désormais pleine et entière. Je remercie pour leur travail exemplaire tous ces savants qui, suite à la stratégie que j’ai immédiatement développée aussitôt arrivé aux affaires, ont mené à bien cette tâche que je leur avais confiée. Ce n’était pas facile ; ils avaient conscience que la victoire était au bout de l’algorithme, ils n’ont pas ménagé leurs efforts. Ils ont fait honneur à ce vieux et cher pays qui est le nôtre !
Ce que nous suggère Robespierre, j’ai décidé de l’appliquer à la lettre. Soyons clairs ! Après les inepties répétitives gouvernementales, j’ai acquis la conviction que toutes et tous, serez éblouis par non seulement la clairvoyance mais aussi par la pertinence des solutions préconisées. Enfin, mes chers compatriotes, nous retrouvons-nous autour du fameux « in medias res » de notre cher Cicéron !
Je ne reprendrai pas ici toutes les mesures en termes de libertés publiques, d’infrastructures et autres pour autant importantes, voire fondamentales que je viens d’exposer succinctement (!) au cours de ma troisième conférence de presse. Permettez-moi seulement de vous livrer les principales mesures à effet immédiat en matière de Protection sociale qui vont jusqu’à nouvel ordre régir votre quotidien.
Gouverner n’est plus prévoir ! Gouverner c’est décider et décider c’est prioritiser !
Trop souvent au cours du dernier demi-siècle, l’action politique a recherché, plus qu’à éclairer notre peuple, un consensus mou, pour reprendre une expression médiatique. Avec ce consensus mou, la croissance molle, le traitement social du chômage anesthésiant, notre pensée autant que notre action se sont délitées.
De ce jour date une ère nouvelle !
Ce que nous dit Robespierre est frappé au coin du bon sens, dans l’esprit de notre pacte républicain, en totale cohérence avec les autres décisions concernant les divers secteurs de la vie de notre pays. Nous devons pour accomplir notre destin, celui de notre survie, appliquer implacablement, je le répète implacablement, le concept de méritocratie sur lequel la République s’est bâtie, ce gage d’égalité donc de progrès, à la Protection sociale. En d’autres termes réserver cette architecture savante, ce pur produit de notre génie qu’est notre système de Protection sociale à celles et à ceux, non pas qui en ont le plus besoin mais à ceux qui le méritent… Robespierre est sur ce point catégorique. Rappelons-nous : incorruptible, objectif donc raisonnable !
Décision déchirante ! Certes, mais qui redonne tout son sens à l’action politique. Pour notre survie, il faut donc que ceux qui n’ont plus capacité à servir – physiquement ou intellectuellement – la cause de notre renaissance, quand bien même ont-ils servi et souvent de belle manière, soient écartés du bénéfice de ce patrimoine…
L’histoire est-elle un éternel recommencement ? Non bien sûr, elle est une spirale qui ne repasse jamais au même endroit, qui s’auto-nourrit de sa propre expérience. Il ne s’agit donc pas de trouver notre salut dans un malthusianisme venu d’un autre âge mais à travers un néo-malthusianisme dont Robespierre nous livre les clefs avec l’aplomb des bons élèves devenus hauts fonctionnaires !
La révolution climatique que nous subissons depuis trop longtemps ne peut nous apporter qu’épidémies, insécurité alimentaire, tornades et inondations ravageant aveuglement agriculture et infrastructures. Robespierre est catégorique : Réservons la Protection sociale à ceux qui n’en auront pas besoin afin de garder le plus longtemps possible ce potentiel que tous les pays nous envient…
Mes chers compatriotes, les plus âgés d’entre vous n’ont pas oublié ce que l’on appelait il n’y pas si longtemps encore la réclame. C’était du temps de leur jeunesse. « Ne s’use que lorsque l’on s’en sert ! ». Nourrissons-nous de cette sagesse ancestrale pour préserver notre Protection sociale de tous nos concitoyens qui au fil du temps se sont transformés en avides consommateurs du système de santé, des aides diverses et variées qui ont transformées les trente glorieuses en trente piteuses !!! Désormais seuls les biens portants, seuls ceux qui occupent un travail pourront accéder au système de soins et aux accompagnements de toute nature dans leur recherche d’emploi !
C’est à ce prix, élevé j’en conviens mais, d’une logique efficiente que notre pays retrouvera la croissance, son rayonnement international, en un mot sa raison d’être. Remercions Robespierre pour sa clairvoyance, son sens exceptionnel de l’intérêt général, sa vision éclairante de l’avenir. Sachons rester fidèle quoi qu’il arrive à ses recommandations, appliquons-les avec la rigueur d’un laser déchiffrant un code barre et alors un avenir radieux nous est promis…
Vous comprendrez que ce que nous propose Robespierre est unique dans l’Histoire des Hommes. Est-ce un hasard que ce soit estampillé au sceau de notre pays ? La réponse est bien évidemment dans la question. C’est pourquoi, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, j’engage dès à présent la procédure de panthéonisation de Robespierre.
Mes chers compatriotes, je sais pouvoir compter sur vous. Vous pouvez compter sur moi et désormais sur Robespierre pour trouver les solutions qui feront de vous un peuple inspiré par le bonheur ! ».
Vive Robespierre et Vive notre pays !