Hervé Chapron
Membre du Comité Directeur et Président du Comité éditorial du CRAPS
Je fais partie d’une grande famille. Assurément de l’élite. Ne vous en déplaise, j’en tire une certaine fierté. Aristocrates dans l’âme à défaut d’avoir été anoblis, mes frères et moi formons une vraie fratrie. C’est peu dire que la solidarité entre nous est une de nos vertus cardinales. Avec la détermination qui est la nôtre, due à cet ADN indécryptable, il est naturel que nous ayons toujours eu de très bons résultats. Pour autant l’humilité n’est pas notre fort. Dois-je l’avouer, personnellement j’aimerais que dans ma catégorie, on me compare au Maréchal de Luxembourg, le fameux tapissier de Notre-Dame… Certes je dois encore persévérer mais je ne désespère pas loin s’en faut.
Très spontanément nous nous sommes les uns et les autres spécialisés par domaine afin de couvrir en termes d’efficacité le spectre le plus large possible. Et force est de constater que nos résultats sont bien meilleurs que toutes nos études stratégiques préalables le laissaient prévoir. Il est vrai que la naïveté de nos adversaires, leur prétention et leur fatuité sont confondantes. Notre intelligence au combat, nos ruses pour ne jamais rester en place, notre génie de l’agression nous ont valu depuis toujours une notoriété certaine. Aujourd’hui, la peur que nous avons suscité chez nos adversaires est digne de celle que l’An Mil avait laissé dans les mémoires.
Nous frappons quelquefois à l’aveugle quelques jeunes créatures pour mieux désorienter les Sherlock Holmes ou autre Maigret que nos adversaires nomment pompeusement Professeur de médecine alors que nos proies sont toujours les plus faibles, les personnes âgées, les immunodéficitaires, les diabétiques, les obèses et autres malades chroniques… Rétrospectivement, quel cynisme !
En mars dernier, j’ai pris les choses en main. ça ne pouvait plus durer. Il fallait agir. Je vous explique. L’exemple de la France est éloquent. Voilà ce petit pays au passé glorieux, aux rois bâtisseurs, à l’empereur administrativement visionnaire, aux présidents humanistes, nourri aux Lumières qui était en passe d’achever la destruction d’un système unique au monde, patrimoine de tous et surtout des plus démunis, que le monde entier envie. Alors dans la grande tradition des colères de Dieu, dans ce pays laïc, j’ai mené une action vigoureuse, un blitzkrieg, pour rappeler à cette population qui se croit encore à l’époque des Trente Glorieuses, n’ayant pas tiré les enseignements des Trente Piteuses, qui abordent les Trente Numériques avec la conscience d’un nénuphar en fin de vie que le gâchis était de l’ordre de l’insupportable.
Tout avait commencé à la fin des Trente Glorieuses avec un premier budget en déficit. C’était en 1974. Et depuis lors, les choses se sont très régulièrement dégradées au rythme d’un métronome. Calmement car méthodiquement. Pour cacher la vérité au peuple, les gouvernants ont immédiatement adopté la méthode Coué. Ce fut la symphonie des petites phrases. Jugez vous-même : « nous sommes au bout du tunnel », « les signes de redressement se multiplient », « la perspective du plein emploi reste crédible », « nous allons inverser la courbe du chômage », « le temps des résultats est arrivé », « nous sommes à deux doigts de le faire… » et quelques autres balivernes que je vous épargne non pas par bonté mais j’ai horreur de perdre mon temps !
Alors est arrivé le temps des rustines, des boîtes à outils dérisoires, des théories hors sol pour oublier les principes des pères fondateurs, des Croizat, des Laroque, des Bergeron… On a continué à vivre sur le même pied comme si de rien n’était. Dans le confort absolu, c’est-à-dire en excluant la notion d’effort. Une société de loisirs, le tertiaire remplaçant l’industrie et tutti quanti !
Et les intellectuels, ceux des grandes écoles, des agrégations d’économie ont voulu mener le bal. « Il faut détricoter le programme du CNR », disaient-ils. La Protection est une charge insoutenable et pour quels résultats ? Alors le politique s’est ressaisi en découvrant une martingale d’exception, l’universalité. ça ressemble à l’égalité – et comme la France en a fait un dogme, ce fut un vrai produit d’appel ! – Après l’État-Providence, l’État-Édredon, l’État-Nounou, vive l’État-Pourboire…
Non vraiment ça ne pouvait plus durer. Alors j’ai décidé d’attaquer. Je savais qu’en commençant par la Chine, l’annonce d’une pandémie serait retardée, philosophie marxiste oblige ! Mais reconnaissez que j’ai fait quelques sommations avec l’Espagne et surtout l’Italie. Et voilà 30 000 morts en deux mois à peine ! Mais quelle victoire : « ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie ».
Franchement mes résultats dépassent mes espérances. Oui, l’humilité n’est pas mon fort…
Mais l’avenir m’inquiète. A mes moments perdus, je scrute le Ségur de la santé. Ils n’ont décidément rien compris. La Protection sociale n’est pas une charge mais bien un investissement. C’est pourtant simple ! Attendons les résultats mais comptez sur moi, si en octobre ils ne comprennent toujours pas, je lancerai sans état d’âme ce qu’ils appellent une deuxième vague…
Je finirai bien par être le Maréchal de Notre-Dame des virus. Je serai alors un exemple pour mes frères. Promis juré !
Extrait du journal de bord du Covid-19 – Juillet 2020