Tribune
Manon Cousseau & Théophile Verdier
Consultants à YCE Partners
À la suite d’une concertation de six semaines débutée le 25 mai dernier, les conclusions du Ségur de la santé ont été publiées en juillet. Les 33 mesures, regroupées en quatre grands « piliers » traitent :
• de la transformation des ressources humaines ;
• de l’investissement et du financement de la santé ;
• de l’organisation des établissements hospitaliers ;
• des modalités de prise en charge des usagers dans les territoires.
Face aux nombreux enjeux du monde de la santé (crise de l’hôpital, déserts médicaux, crise sanitaire…) l’ambition du Ségur était importante. Les conclusions sont en partie au diapason de l’ambition.
Sur l’enjeu du manque de médecins, un Ségur pragmatique
Bien des travaux ont déjà été menés sur la problématique des déserts médicaux, le manque de personnel soignant, etc. Le Ségur reprend à son compte de nombreuses réflexions issues de ces travaux et propose des évolutions nécessaires, qui ne sont pas révolutionnaires pour autant.
Avec plus d’un Français sur huit résidant dans un désert médical, selon la DREES, le manque de médecins est patent sur de nombreux territoires. Un problème d’envergure nationale au vu du déséquilibre entre les départs à la retraite et les médecins formés qui s’est traduit par une perte sèche de 6 500 généralistes entre 2010 et 2018 d’après l’Ordre des médecins. La suppression du numerus clausus en médecine constitue un début de réponse – controversé – à cet état de fait mais le temps de latence d’une telle disposition appelle d’autres mesures à court et moyen terme. En l’occurrence : décharger les médecins pour leur permettre de prendre plus de patients.
L’accélération du déploiement des infirmiers en pratique avancée (Mesure 6) ou la formation de professionnels paramédicaux supplémentaires (Mesure 4) prévues par le Ségur viennent ainsi répondre à ce besoin de soigner demain plus de patients à nombre constant de médecins, en complément notamment du déploiement des 4 000 assistants médicaux. Déchargement médical et administratif donc, afin de recentrer la pratique des médecins sur les actes qui requièrent le plus d’expertise.
Mais une feuille de route pour l’hôpital qui doit encore être précisée
L’objectif de la mesure 12 et ses 4 000 lits à la demande est clair : permettre de répondre aux évolutions de la demande (épidémie, saisonnalité de certains hôpitaux en zones touristiques…) tout en contrôlant les coûts. Pas question donc en lisant le Ségur de rouvrir des lits permanents dans les hôpitaux où ils ont été fermés ces dernières années.
Cette mesure reste une avancée puisqu’elle prend en considération des problématiques locales d’accès aux soins. Cette année nous a appris qu’il est plus que jamais nécessaire de redonner de la flexibilité aux hôpitaux, qui ont su répondre à l’épidémie localement malgré une situation de crise dénoncée depuis de nombreuses années. Il est en effet important que les événements ponctuels (afflux touristique, épidémie saisonnière) n’entraînent pas un refus ou un report de soins de suivi nécessaires et programmés.
Toutefois cette proposition doit encore se traduire dans la réalité quotidienne des hôpitaux. Comment trouver demain le personnel médical pour assurer l’ouverture de lits supplémentaires pendant une courte période ? Et ce sans avoir recours au mercenariat de l’intérim médical qui doit être supprimé (mesure 3) ? Quels seront les leviers pour attirer ce personnel sur des contrats précaires, de courte durée ?
De la même manière l’impact des mesures sur l’organisation de l’hôpital ne pourra être mesuré que selon leur traduction concrète sur les plans légaux et sur les dispositifs mis en place (mesures 19 à 21). Elles demeurent un changement de paradigme dans la vision de l’hôpital puisqu’elles reconnaissent les spécificités propres à chaque établissement et encouragent leur prise en compte. Donner plus de liberté à l’organisation interne des établissements s’impose ainsi comme un engagement clé du Ségur. Le ministre de la Santé Olivier Véran a en ce sens déclaré que « l’organisation interne et la gouvernance des établissements doivent pouvoir s’adapter à des situations locales spécifiques et à des projets propres à chaque territoire ». La fin du calque des modes d’organisation au Code de la santé publique, imposant par exemple une même organisation interne à des hôpitaux de tailles très différentes, apparaît comme une avancée attendue et pertinente tout comme le lancement d’un groupe de travail dans le but de simplifier la commande publique.
Ainsi ce Ségur propose selon nous plusieurs propositions structurantes et changements de paradigme intéressants. Le volet hospitalier doit cependant être précisé dans les lois et les propositions opérationnelles à venir pour apprécier son impact. Le retour de l’épidémie cet automne remet en difficulté certains services et doit ainsi rappeler à tous la nécessité de faire évoluer en profondeur notre système de santé.
Infirmiers en Pratique Avancée de quoi parle-t-on ?
Issue de la loi de modernisation du système de santé promulguée en janvier 2016 la profession d’infirmier en pratique avancée a été précisée par plusieurs décrets, et une première promotion accédait au Diplôme d’état cette année. Pour y prétendre, trois ans d’expérience préalables comme infirmier et deux années supplémentaires de formation sont nécessaires. Ces professionnels sont en mesure de renouveler ou de modifier une prescription médicale, de prescrire des examens supplémentaires. L’objectif est de soulager les médecins dans les domaines suivants :
• les pathologies chroniques stabilisées et les polypathologies courantes en soins primaires ;
• l’oncologie et l’hémato-oncologie ;
• la maladie rénale chronique, la dialyse, la transplantation rénale.
Afin de ne pas créer une rupture supplémentaire dans la transmission d’informations entre professionnels de santé, les infirmiers en pratique avancée devront exercer au sein d’équipes pluridisciplinaires, comme par exemple dans les maisons de santé.