INTERVIEW
Patrick Bouet
Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins
De nombreuses études indiquent que les français considèrent que l’accès aux soins est de plus en plus inégalitaire, tant pour des raisons financières que géographiques, selon-vous comment pouvons-nous endiguer ce phénomène ?
Répondre aux défis auxquels nous faisons face en termes de démographie médicale doit nous obliger à adopter un nouveau paradigme, en libérant les énergies dont regorgent nos territoires pour refonder un système devenu hyper-centralisé et hyper-administré. Il faut arriver à une meilleure structuration de l’organisation territoriale, reposant sur une gouvernance régionale forte et inclusive, fondée sur les établissements publics, les établissements privés et les représentants de l’exercice ambulatoire libéral. C’est cet esprit d’ouverture, d’inclusion, de dialogue, qui permettra de faire émerger une véritable équité territoriale dans l’accès aux soins. Celle-ci ne sera pas bâtie par la multiplication des lieux de soins, mais par une plus grande coordination entre eux, quels que soient leurs statuts. C’est ce qui ressort clairement des nombreuses initiatives territoriales dont l’Ordre est une partie prenante partout en France. La réussite de ces initiatives repose sur le partenariat de tous les acteurs !
Il est également primordial d’intégrer véritablement la formation à la réflexion sur la refonte de notre système de santé. Ne pas le faire aujourd’hui, c’est se condamner à l’échec demain ! Il faut avant tout que, demain, la formation initiale des futurs médecins permette l’acquisition d’une véritable connaissance de l’organisation et des parcours de soins. Il faut également que la formation soit tournée vers les territoires. Cela doit impliquer une véritable politique de coopération public/privé dans la formation. Cela permettrait de sortir les étudiants des hôpitaux universitaires, pour qu’ils découvrent tous les modes d’exercice, et qu’ils irriguent notamment les territoires les plus éloignés des CHU de la région. C’est également dès la formation initiale que nous devons faire émerger une véritable culture de la coopération entre professionnels de santé. Travailler ensemble s’apprend, et il nous faut accompagner les futures générations dans cette démarche.
Quel impact aura l’intelligence artificielle sur le rôle du médecin en France ?
La médecine comportera toujours une part essentielle de relations humaines, quelle que soit la spécialité, et ne pourra jamais s’en remettre aveuglément à des « décisions » prises par des algorithmes dénués de nuances, de compassion et d’empathie. Les médecins ne sauraient oublier que la maladie est celle d’une personne et qu’en quelque sorte elle « appartient » au patient. Nous l’aidons, par les compétences professionnelles que nous avons acquises, à en gérer ensemble les conséquences.
Dans ce contexte, les algorithmes et l’intelligence artificielle seront nos alliés, comme un apport essentiel pour l’aide à la décision et à la stratégie thérapeutique, ce qu’aucun médecin ne peut rejeter. Il est cependant primordial de travailler à la protection des données personnelles de santé, c’est-à-dire du secret dont elles sont couvertes, qui est la base même de la confiance portée aux médecins par leurs patients.
Par ses publications sur le sujet, et notamment celle récente d’un livre blanc, le Conseil national de l’Ordre des médecins entend alerter et accompagner l’ensemble des médecins sur les signaux qu’ils doivent tous, à des degrés divers, savoir recevoir, analyser et utiliser.
Pensez-vous que « la performance » puisse-être la clé de voute d’un financement pérenne de notre système de santé ?
Depuis quarante ans, notre système de santé est géré sur la foi d’un indicateur principal : celui de l’équilibre de ses comptes. Les plans de retour à l’équilibre se sont enchaînés, laissant notre système exsangue, incapable de relever les défis qui se posent à nous. La logique économique l’a emporté sur tout et tous, et les inquiétudes exprimées par les acteurs du système n’ont jamais été entendues. Là encore, il nous faut changer de paradigme : pourquoi la santé devrait-elle être le seul pilier de la bientraitance républicaine à devoir répondre à l’exigence d’équilibre économique ?
Si nous voulons espérer passer sans heurts ni dommage d’une société du traitement de la maladie aigue à une société de la prise en charge de la maladie chronique, nos gouvernants ne peuvent plus rester concentrés sur leur objectif de contenir l’évolution des dépenses de santé. Il nous faut aujourd’hui réaffirmer le principe de solidarité qui régit notre système de santé depuis 1945 : la santé est une mission de service public ! Dès lors, la seule performance de notre système ne doit pas en être le seul objectif, et il nous faudra consentir collectivement à payer le prix de cette performance. La pertinence des actes selon des critères médicaux à partir d’une évaluation méthodologique professionnelle est la voie qu’il nous faut suivre.