Dr François Olivier
Psychiatre Praticien Hospitalier, Coordinateur de l’HAD psychiatrique de Montauban & Vice-Président de l’Association des services de soins psychiatriques intensifs à domicile (ASPIAD)
Hospitalisation en psychiatrie : Il faut déplacer l’axe des soins vers le domicile
Pourquoi, alors que la psychiatrie française avait été si novatrice en mettant en place le secteur, a-t-elle autant de difficulté à poursuivre le développement du concept ambulatoire de soin de proximité centré sur le domicile, et a toujours la tentation de maintenir ou de revenir à un hospitalo-centrisme ?
Pourtant, la première demande des usagers de la psychiatrie en prévision des situations de rechute est de rester au domicile le plus longtemps possible. Nous savons que l’admission hospitalière psychiatrique peut générer des traumatismes et que l’hospitalisation par elle-même peut induire une perte des compétences sociales et relationnelles et être source de stigmatisation et de chronicisation. Le passage d’un système hospitalo-centré à un dispositif intégré dans le milieu de vie naturel des usagers est également recommandé par l’OMS.
Après la deuxième guerre mondiale, sont apparues les premières expériences de « home care », aboutissant, à partir des années 60, en France, au développement de services médicaux d’Hospitalisation à domicile (HAD). En psychiatrie, quelques tentatives éparses d’HAD émergent alors ponctuellement mais sans soutien des pouvoirs publics. Il faudra attendre la circulaire du 4 février 2004 de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) pour que soient définies les modalités de l’HAD en psychiatrie.
Nous avions recensé en 2015 (Navarro et collaborateurs) 21 HAD psychiatriques en France (pour adultes), représentant, en 2009, 1,1 % des prises en charge à temps complet pour 990 places dédiées. Dans le rapport du plan « Psychiatrie et santé mentale » 2005-2010, il était mis en exergue le manque de développement des alternatives à l’hospitalisation temps plein et il était déjà préconisé de déplacer le centre de gravité des prises en charge de l’hôpital à la ville.
Malgré l’absence de référentiels théoriques spécifiques, à côté de l’hospitalisation classique, se développent encore timidement ces unités de soins psychiatriques aigus et intensifs à domicile : HAD psychiatrique, dispositifs de soins intensifs de particulière intensité à domicile… Le constat général réalisé par ces équipes éclaire l’intérêt et la pertinence de ces structures mobiles qui recouvrent un territoire spécifique. Elles montrent de nombreuses qualités : adaptabilité, flexibilité, réactivité, facilitation de l’accès aux soins, déstigmatisation. La pandémie du SARS-CoV-2 a été l’occasion de confirmer leur disponibilité et leur efficacité en ces temps difficiles. Elles fluidifient les parcours de soins des usagers de la psychiatrie, ainsi que l’organisation hospitalière et facilitent l’accompagnement des proches et des familles (nous proposons parfois qu’une partie de l’équipe accompagne spécifiquement ces derniers).
La circulaire DHOS du 4 février 2004 oriente l’HAD en psychiatrie vers « des soins coordonnés d’une intensité particulière » (ce qui la distingue des visites à domicile (VAD) habituellement proposées par les Centres médico-psychologiques), visant à « préparer, raccourcir, prendre le relais, éviter ou remplacer une hospitalisation classique ». Elle propose également les modalités de la prise en charge permettant de garantir l’intensité, la continuité et la structuration des soins.
L’HAD s’adresse à des patients dont l’état clinique nécessite une hospitalisation, ne présentant pas de potentiel marqué hétéro ou auto-agressif nécessitant une surveillance continue ou de nécessité manifeste de quitter leur domicile, et en accord pour être suivis et soignés à leur domicile ou sur leur lieu de vie par l’équipe de soins pluridisciplinaire. Elle propose des soins programmés, contractualisés avec la personne hospitalisée et s’intègre naturellement dans les dispositifs déjà existant en psychiatrie : hospitalisation complète intra-muros, hôpitaux de jour, structures ambulatoires (CMP, CATTP…).
Elle permet, par ailleurs, de proposer des soins à des personnes en souffrance n’accédant pas aux filières habituelles de soin. Un des constats de notre unité fut de remarquer qu’elle s’adressait à la fois à une population déjà connue et suivie par les services de psychiatrie mais aussi qu’elle intégrait dans le parcours de soins psychiatrique une population qui, pour diverses raisons, ne pouvait pas ou ne souhaitait pas être traitée en hospitalisation classique (usagers des urgences ayant peur d’aller dans un service de psychiatrie, parent isolé avec enfant(s), personne dans l’incapacité de quitter son domicile du fait de l’obligation de s’occuper d’une personne âgée, d’animaux ou du fait d’obligations professionnelles…, patients souffrant de phobies ou de TOC sévères…) Environ 25 % des personnes admises dans notre service intègrent la filière de soins en psychiatrie pour la première fois, et pour environ 1/3, c’est la première hospitalisation en psychiatrie.
Deux dimensions majeures doivent être précisées : c’est le patient qui accueille le professionnel dans son cadre de vie et non l’usager qui doit se plier aux règles de l’institution hospitalière parfois rigides et sources de tensions et de conflits. Cela modifie et facilite la rencontre thérapeutique, la relation soignant/soigné et l’alliance. Le lieu de soin est le lieu de vie, quel que soit celui-ci (domicile, foyer, EHPAD, famille d’accueil…) et le patient peut parfois solliciter des rencontres hors de son domicile (lieu de travail, parc, café…).
De fait, l’intervention de ces unités intensives à domicile peut se décliner sur 3 temps différents pour les usagers de la psychiatrie :
• En amont d’une hospitalisation en cas de décompensation débutante ou de fort risque de décompensation : patient suivi en CMP, patient à risque (PMI, maternité, foyer…)…, avec une option de prévention et d’évitement de l’hospitalisation classique sous contrainte.
• En alternative à l’hospitalisation classique selon le choix du patient ou si cette dernière est refusée ou impossible pour la personne en besoin de soins intensifs (en dehors des situations de contre-indication déjà évoquées).
• En aval d’une hospitalisation, pour faciliter le retour à domicile et coordonner les soins d’aval, pour faciliter l’intégration dans une structure (foyer, EPAHD…), pour permettre des retours plus rapides au domicile si le patient le souhaite et si c’est compatible avec son état de santé, pour raccourcir la durée d’hospitalisation classique.
Il est également possible de réaliser des sevrages à domicile en partenariat avec les CSAPA et les équipes d’addictologie.
La souplesse de ce type d’unité permet par ailleurs un ajustement clinique fin, de proposer des temps d’hospitalisation intra-muros en cas de situation de crise, d’aggravation clinique (notamment des idéations suicidaires), avec retour en suivi à domicile dès que la situation clinique s’améliore. Une étude rétrospective réalisée en 2019 dans notre service (Randrianaivo et collaborateurs) portant sur 10 ans de fonctionnement montrait que sur les 1 386 usagers admis durant cette période, 141 avaient été réorientés vers les unités psychiatriques classiques, et plus de la moitié d’entre eux repris ensuite en HAD dès l’amélioration clinique. L’objectif étant de limiter autant que possible les durées d’hospitalisation classique et de rechercher le plus rapidement le retour à domicile, dans le milieu de vie au sein de la société, avec le support des structures ambulatoires (qui malheureusement demeurent en manque cruel de moyens).
Différentes études internationales ont évalué l’impact des « home-treatment teams » (souvent associées à des équipes de résolution de crise), mettant en évidence la diminution des admissions et des hospitalisations, la satisfaction des usagers (confirmé dans notre expérience personnelle), moins de burn-out chez les soignants et un moindre coût in fine que les soins standards.
Selon différents auteurs dans la littérature internationale, 70/80 % des patients hospitalisés pourraient bénéficier d’un traitement à domicile soit dès l’admission, soit quelques jours après.
Bien sûr, quelques difficultés sont à dépasser : besoin d’un projet de soins bien défini, adapté à la personne, et d’une équipe bien formée à la clinique et capable d’autonomie (il n’y a pas la sécurité du cadre institutionnel), nécessité de bien évaluer les risques du maintien à domicile (notamment auto-agressifs), attention particulière portée aux enjeux systémiques et importance d’une bonne coordination avec les réseaux sanitaires, médicosociaux, sociaux et associatifs du territoire.
Peut également se discuter la pertinence de garder pour ces équipes de soins intensifs à domicile le « label HAD », qui associe plus d’inconvénients que d’avantages en psychiatrie.
Dans leur dimension intrinsèque « d’aller vers », les interventions à domicile s’inscrivent dans une dynamique de facilitation psychosociale, de lutte contre les ruptures des parcours de soins, de valorisation de l’autonomie et de restauration de la capacité d’agir. Véritable alternative à l’hospitalisation classique, lorsque le maintien à domicile est possible, leur intervention précoce peut permettre d’éviter l’aggravation des troubles, de réduire le risque de rechute, d’éviter ou de raccourcir les hospitalisations, de lutter contre la chronicisation, de faciliter le retour à domicile après une hospitalisation, de réinscrire l’usager dans une filière de soins, de participer aux actions de réhabilitation psychosociale et au rétablissement.
Innovantes mais actuellement hétérogènes, ces unités thérapeutiques qui enrichissent l’intervention ambulatoire de proximité au sein d’un territoire défini, doivent être mieux repérées et reconnues, davantage développées, leur articulation aux autres services renforcée et leur coordination améliorée.
De notre point de vue, les soins intensifs à domicile n’entrent pas en compétition avec l’hospitalisation classique qui garde ses spécificités, mais propose une alternative intéressante et complémentaire, une approche éthique et une transformation passionnante du paradigme des soins en psychiatrie, en déplaçant le curseur du soin sur le domicile.
En référence et hommage à Lucien Bonnafé, valorisons l’idée que ce sont les femmes et les hommes qui font la psychiatrie, pas les murs.