TRIBUNE
Dominique Hénon
ANCIEN DIRECTEUR FINANCIER DE LA CPAM DE PARIS
PENDANT
La crise sanitaire créée par le Covid-19, toujours pendante, a constitué un révélateur et un marqueur des questionnements à l’œuvre sur le vieillissement dans certains cercles plus ou moins fermés, même si certaines études à l’instar du rapport Libault étaient momentanément sortis de l’ombre, en marge des travaux consacrés à la réforme des retraites concentrés exclusivement sur le financement et les mécanismes d’acquisition, de service et de montant des retraites, toutes préoccupations à dominante principalement financière.
En désignant les « vieux », présentés en France sans discernement, ni recul ni analyse suffisants, comme une espèce « à risques » pour eux-mêmes et pour les autres, et en les menaçant d’un confinement prolongé, n’a-t-on pas stigmatisé un quart de la population appelé à devenir un tiers de celle-ci dans à peine deux décennies ainsi que les courbes démographiques le démontrent ?
N’ont-ils pas payé un tribut démesuré (direct ou indirect sous l’effet du syndrome de glissement notamment) à la pandémie au point qu’il faille en- core davantage les mettre au ban de la société ?
En tout cas le vent du boulet a soufflé très fort à leurs oreilles et le débat national généré par cette hypothèse et cette valse-hésitation a laissé des traces indélébiles, d’autant plus, comme on le voit en se comparant à d’autres et notamment à des pays dits jeunes (Brésil, Inde, Algérie…), le Coronavirus – avéré partout – comme un accélérateur de mortalité – a révélé bien d’autres facteurs de mortalité tout aussi ravageurs, tels que la promiscuité, la ségrégation, la pauvreté, la précarité de classes populaires délaissées y compris par un environnement sanitaire défaillant.
Aussi, s’agissant des « âgés », les pathologies associées à l’âge et au grand âge ne sont pas les causes uniques mais additionnelles de co-morbidités qui ont contribué à les décimer exagérément ?
Pourquoi ériger les victimes en boucs émissaires quand on sait qu’en dépit d’une aspiration très majoritaire des retraités français (au-delà de 80 % des sondés selon diverses enquêtes) de vivre leur vieillesse à domicile, ce sont plus de 10 % de ceux-ci qui sont relégués dans des établissements souvent peu propices à leur « bien-être » mais plutôt obsédés par la gestion au moindre coût, voire par la recherche du profit comme les médias le déplorent régulièrement (voir notamment l’article récent de Clément Lacombe, grand reporter à l’Obs, qui a obtenu le prix du meilleur article financier 2020 pour son étude sur le business des EHPAD).
La moitié des décès seraient ainsi imputables aux maisons de retraite où sont parquées des populations âgées ou très âgées vulnérables et souvent précaires en attente de leur dernière heure.
Les historiens retiendront à coup sûr que le Covid-19 a mis en lumière, au-delà des fragilités liées au vieillissement, une vulnérabilité générale de nos sociétés face à l’inconnu et en l’occurrence à un virus microscopique foudroyant qui a mis à mal trop de certitudes, d’impasses et de faux-semblants masquant tant d’autres vulnérabilités accumulées au fil des ans.
À propos de notre société, comme le rappellerait sagement La Fontaine « ils n’en mouraient pas tous mais tous étaient frappés », au moins de stupeur et de désarroi, flagrants dans l’ensemble des classes dirigeantes aux plans spirituel et politique : les églises de toutes confessions se sont claquemu- rées en remettant leur âme à dieu tandis que les gouvernants se délestaient volontiers de leurs responsabilités sur des scientifiques tout-aussi désorientés et divisés.
AVANT
Pourtant en effet – c’était « avant », dans l’ancien monde d’avant le Covid-19 – des ouvrages nombreux rédigés par des philosophes, sociologues, gérontologues, économistes et des groupes de réflexion transversaux et/ou composites avaient tous martelé la nécessité d’une « approche globale » du vieillissement individuel et collectif en insistant sur les perspectives démographiques et l’émergence inéluctable d’une « Société du Vieillissement », dans laquelle la « qualité de vie et le bien-être des aînés » devaient devenir une préoccupation et intergénérationnelle aussi urgente, voire plus urgente, que la clarification et l’amélioration du système des pensions de retraite.
Les pouvoirs publics, depuis plusieurs décennies avaient eux- -mêmes planché sur la création de dispositifs multiples, parfois désordonnés, d’aides sociales ciblées pour tenter de répondre à des inégalités et aux besoins criants des plus anciens, via les politiques sociales des caisses de re- traite et souvent sous l’impulsion de la CNAV (déploiement sous son égide des démarches de « Bien-Vieillir ») ainsi qu’avec le relais des Coderpa, dans les territoires et dans le cadre « d’actions nationales » telles que Monalisa dédiée à la lutte contre l’isolement.
À cet égard, la loi ASV du 28 décembre 2015, ou loi d’Adaptation de la Société au Vieillissement, constituait une mise en perspective salutaire de l’ensemble de ces contributions et initiatives publiques et associatives, y compris à travers la création des « Conférences des Financeurs » départementales, placées sous la coordination des conseils départementaux au sein desquels les « CDCA » composés de retraités bénévoles ont en charge de représenter les séniors et les handicapés.
En parallèle, un grand mouvement était né à la frontière des champs de l’économie sociale et solidaire et de l’économie de marché sous l’appella- tion de « Silver Économie » prompt à mobiliser des financements et des énergies en faveur du développement de services et produits destinés aux âgés.
Ce nouveau secteur, particulièrement actif et innovant, a désormais créé ses propres réseaux et évènements périodiques.
Pour les gouvernements successifs la prévalence des questions financières liées au financement des retraites et de la dépendance a occulté le plus souvent les aspects humains et les conditions de « vie » à la retraite des anciens, ce que le gouvernement actuel n’a pas démenti en oubliant totalement cet existant, y compris lors de l’élaboration de son projet de loi de réforme des retraites, qui ne s’est pas même inspiré de l’avis des CDCA, particulièrement compétents pour exprimer les attentes des retraités…
Il est grand temps dès lors que soient pris en charge, de manière visible et lisible toutes les composantes de cette Société du vieillissement et de son impact sur et pour l’avenir de notre pays.
APRÈS
Dans ce contexte le CRAPS possède une légitimité naturelle pour s’impliquer en vue de peser sur les échéances futures, notamment électorales, en développant sa propre vision des améliorations à encourager pour ce qui touche à la situation des âgés en miroir des évolutions prévisibles des autres strates composant la nation. Il pourrait ainsi être proposé de créer un groupe de réflexion en son sein, éventuellement composé de sous-groupes spécialisés dédiés à des chapitres particuliers, tels que :
– Les indicateurs démographiques de l’avancée en âge : espérance de vie en hausse (régulière en France), espérance de vie en bonne santé (pas excellente en France), mortalité différentielle, taux de fécondité (en bais-
se dans nombre de pays développés), cumul du vieillissement par le haut et par le bas de la pyramide des âges, autant de facteurs qui démontrent la
progression du phénomène de vieillissement différencié des sociétés européennes notamment, à l’instar du Japon qui a anticipé et expérimenté cette tendance au plan mondial, etc.
– La place des aînés dans la société, les catégories émergentes et les stéréotypes relatifs au vieillissement. La participation sociale des retraités et des instances qui leur sont dédiées (CDCA, groupements, think-tanks, as- sociations de retraités) : partage des temps domestiques, de loisirs, d’engagement social, etc.
– La notion d’âgisme : selon l’OMS, il s’agit de la deuxième discrimination la plus fréquente après le racisme et l’anti-sémitisme. À partir de quand vieillit-on ? Sarcopénie, ostéoporose (ostéopénie), progérie et le vieil- lissement accéléré. Le jeunisme et autres clichés âge civil et âge biologique : à partir d’études sur des cohortes, une large dispersion peut être constatée pour un même âge civil déterminé. Vieillissement physique et mental : les fragilités et pathologies associées à la prise d’âge, etc.
– Les aspirations besoins des aînés et leurs évolutions à mesure du vieillissement : définition d’un revenu décent pour tous les anciens travailleurs retirés, inclus et exclus, maintien d’activités physiques, sportives, sociales et bénévolat, comportements pro-actifs favorables au bien-vieillir, santé et longévité.
– Les ressources des retraités articulées et conditionnées sur et par les carrières professionnelles : persistance ou aggravation des disparités et inégalités correspondantes au genre (la discrimination des femmes dans le monde du travail rejaillit sur le rendement de leur revenu de remplacement à la retraite), au statut d’activité (les agriculteurs et indépendants restent moins bien traités que les fonctionnaires et salariés) et à l’accumulation de capital (coupable de creuser lourdement les écarts). La mobilisation du patrimoine des retraités dans une perspective inter-générationnelle…
– Le développement d’une approche inter-générationnelle propice à créer une répartition plus juste et solidaire des ressources entre toutes les tranches d’âge de la société eu égard aux besoins spécifiques de chacune devra être encouragée, avec la préoccupation d’organiser la transmission des avoirs et des savoirs des plus anciens vers les plus jeunes, etc.
– Et, bien sûr, une réflexion sur la fin de vie subie ou choisie, à domicile ou en établissement, la perte d’autonomie et son financement, les risques d’arnaques et de maltraitance courants, la maltraitance financière (rapport Koskas), la duplicité des investisseurs dans la construction et la gestion de structures destinées aux aînés orientées parfois vers la recherche du seul profit au détriment du bien-être des résidents, etc.
En conclusion, on conviendra que cette thématique si vaste a déjà été traitée et approfondie par de nombreux experts et groupes de réflexion (parfois sponsorisés, notamment par la Caisse des Dépôts) auxquels participent de nombreux experts et gérontologues avec l’appui d’auteurs reconnus et impliqués, au point qu’en dresser la liste représente déjà une véritable gageure.
En outre, de nombreux séminaires scientifiques avec le concours d’universités nationales (Paris 1, pour n’en citer qu’une) et internationales (telle l’université Paris-Dauphine à travers sa chaire spécialisée TDTE ou Transitions Démographiques/ Transitions Économiques) ont rassemblé autant de sommités que de documentations autour des problématiques évoquées ci-dessus qui pourraient alimenter l’étude proposée ci-dessus aux éminents membres du CRAPS.
Le développement de la Silver Économie qui recouvre un marché à fort potentiel en plein essor depuis quelque 10 années en France repose sur plusieurs constats évoqués dans la présente note, à savoir qu’en 2030 plus de 20 millions de personnes auront dépassé 60 ans et qu’en 2050, près de 5 millions auront atteint 85 ans (contre 1,4 million aujourd’hui), sachant que le CREDOC établit que 54 % des dépenses réalisées par des particuliers dès 2015 étaient le fait des séniors. Ce contexte très porteur entraîne une croissance de la Silver Économie estimée à 0,25 point de PIB par an correspondant actuellement à 93 milliards d’euros et en projection en 2030 à plus de de 130 milliards…
Mille et une raisons donc pour que le CRAPS soit pro-actif sur ce terrain, glissant comme l’âge de tous et chacun.