TRIBUNE
Patrice Corbin
Vice-Président du CRAPS, Conseiller Maître Honoraire à la Cour des comptes, Avocat
Curieusement pendant toute cette campagne présidentielle, un chiffre a été répété à longueur d’interview et de programme sans jamais avoir été analysé ou commenté d’un peu près… et pourtant : il s’agit du montant des dépenses publiques par rapport au PIB (Produit Intérieur Brut : (mesure des richesses nouvelles créées dans l’année par le système productif) soit, en France, 56%, l’un des taux les plus élevés d’Europe.
Pour toute une pensée, plutôt de droite, ce chiffre est une abomination, puisqu’il démontre que la France est, sans le savoir, devenu un pays socialiste, et que l’effort essentiel doit donc tendre à le faire diminuer.
Personne (sauf le remarquable Dictionnaire passionné de la Protection sociale édité par le CRAPS l’année dernière) ne s’est penché sur le fait que ce chiffre des dépenses publiques ne signifie rien sur le plan économique et n’est que le fruit d’une convention statistique.
Le seul chiffre qui économiquement a un sens est celui de la part du PIB qu’un pays donné consacre à la Protection sociale (vieillesse, maladie, famille…) soit 33% pour la France ; La plupart des pays développés consacrent des montants comparables à ces différentes fonctions sociales, dont l’importance est davantage liée au niveau de développement qu’aux choix politiques.
à titre d’exemple, la part des dépenses de santé aux USA où la protection des individus est principalement assurée par des mécanismes relevant du marché est bien supérieure à ces mêmes dépenses, presque totalement socialisées en France.
En revanche, le chiffre de la part des dépenses publiques par rapport au PIB n’a pas grand sens et cela pour deux raisons : ce chiffre met dans le même sac des dépenses aussi différentes que d’une part les grandes dépenses régaliennes de l’état comme les dépenses de défense, de police ou de justice et des dépenses extrêmement individualisées comme les dépenses de retraite ou de santé ; bref il mélange des choux et des carottes.
Combien de Français savent que la pension qu’ils perçoivent, après avoir cotisé toute leur vie est considérée comme une dépense publique, contribuant ainsi au fameux 56% Cela leur paraitra d’autant plus curieux qu’ils ont acquis des « droits à la retraite » au sens le plus patrimonial du terme.
L’explication de cette curiosité se trouve dans une convention statistique. Pour faire des comparaisons internationales entre des pays ayant des systèmes différents, les statisticiens ont choisi un critère simple : celui de la dépense obligatoire : est considérée comme dépense publique toute dépense obligatoire. Prenons un exemple : si vous avez une voiture vous êtes obligés de vous assurer mais vous n’êtes pas obligés d’avoir une voiture donc cette dépense n’est pas obligatoire donc ce n’est pas une dépense publique. En revanche, vous ne pouvez pas échapper au paiement de votre cotisation vieillesse sur votre feuille de paye, c’est une dépense obligatoire, donc une dépense publique.
Mais cette cotisation « obligatoire » ne l’est pas par sadisme mais simplement parce que de nombreux pays, dont la France ont fait le choix, pour leurs mécanismes de pension, de la répartition (les actifs payent pour les retraités) et un tel système ne peut fonctionner sans obligation de cotiser.
Il y a donc deux types de décision qui s’enchevêtrent : la France n’a pas un jour décidé que les retraites étaient des dépenses « publiques » mais elle a fait le choix de la « répartition » c’est-à-dire de ne pas faire reposer son système de retraite sur les aléas du marché, et les statisticiens ont de leur côté décidé que le critère à retenir était celui de la dépense obligatoire. Mais vous aurez du mal à expliquer aux Français que leur retraite est une dépense publique !!
Imaginons un instant que la France abandonne
le système par répartition et que chacun soit libre de cotiser ou non pour sa retraite et de choisir l’organisme auprès duquel il veut cotiser. Imaginons également que par sagesse tout le monde continue de cotiser comme maintenant (même si ce n’est plus obligatoire). Donc économiquement rien ne change par rapport à la situation actuelle sauf que ce sont des compagnies d’assurance qui encaissent les cotisations. Par ce seul fait (toutes choses restant égales par ailleurs), la dépense publique diminue, instantanément, en France de 15%. Si nous poursuivons l’exercice avec les dépenses de santé : vous n’êtes plus obligés de cotiser, vous choisissez librement votre assureur mais comme vous êtes raisonnable vous continuez à cotiser comme maintenant : Instantanément la dépense publique (toutes choses restant égales par ailleurs) diminue encore de 11%. Elle n’est plus en France que de 30%, soit à peu près le niveau des USA, alors là bravo !!